« C’est un choc, que cette BD, et une étreinte aussi, l’effet que peut faire la vérité lorsqu’elle est accompagnée de la tendresse. » : quelques mots pour se plonger dans l’univers d’Alix Garin, qui reçoit le Prix Scam 2024 Texte et Image pour Impénétrable. Découvrez à cette occasion l’éloge écrit en son honneur par le Comité ainsi qu’un entretien passionnant avec elle. 

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L’éloge du Comité

Elle a seulement 27 ans, et son parcours, déjà, force le respect et l’admiration. 

Alix Garin avait remporté le Rossel de la bande dessinée en 2021, pour son émouvant road-trip aux côtés d’une grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, Ne m’oublie pas.

Aujourd’hui, c’est avec Impénétrable, toujours au Lombard, qu’elle connaît un retentissement inouï, d’autant plus jouissif qu’elle en profite pour tenir avec clarté et conviction un discours important, sur les tabous liés à la sexualité des femmes. 

L’album est souvent présenté comme un témoignage autobiographique sur le vaginisme, cette problématique affectant les femmes dans leur plus intime intimité. On pourrait presque croire qu’il s’agit d’un ouvrage gynécologique. Alors qu’en réalité, Impénétrable est surtout la conquête d’une liberté par la mise en pièces des tabous, une quête identitaire, et une merveilleuse histoire d’amour. Le genre d’histoire qui relie entre elles, dans un sentiment de faire corps, toutes les personnes, si nombreuses, qui ont un jour été confrontées aux impensés de nos sociétés.

Le ton d’Alix Garin, est moderne et universel, la mise en récit est vivante, fluide, dotée d’une puissance narrative remarquable. 

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Myriam Leroy, membre du Comité belge de la Scam


Alix Garin | Elle est allée chercher son rêve avec les dents

Elle a fait une entrée très remarquée dans la bande dessinée en 2021 avec Ne m’oublie pas, le road trip tout en finesse d’une étudiante et de sa grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Et elle vient d’asseoir une confirmation fracassante avec Impénétrable, récit autobiographique sur les troubles de la sexualité et tout ce qu’ils charrient. À 27 ans, la Hutoise installée à Bruxelles touche les étoiles qui faisaient briller ses yeux d’enfant.

Votre éditeur, Le Lombard, parle de « vocation pour la BD ». Est-ce bien cela ?

Alix Garin : Oui, complètement. À six ans, j’ai dit que je voulais être autrice de BD. Ça a toujours été non seulement une évidence, mais aussi presque une raison de vivre. C’était la bande dessinée plutôt que le dessin parce que raconter des histoires était ce qui comptait le plus pour moi. Et comme j’étais une enfant qui dessinait beaucoup, le dessin venait se mettre au service des histoires que je me racontais dans ma tête. Mon père m’a abonnée très tôt à Spirou et du coup, je voyais qu’être auteur de BD, c’était un métier. Et donc j’ai dit « ok, ce sera ça, sinon rien. »

Votre premier livre, Ne m’oublie pas vous est venu comment ?

AG : Je suis sortie de Saint-Luc Liège en juin et les premières idées sont venues vers le mois d’août. En fait, c’était une période assez difficile. Je venais d’être diplômée en bande dessinée. OK. Et maintenant ? Qu’est-ce qui va m’arriver ? Que faire ? Par où commencer ? J’avais l’intention de poursuivre des études dans un domaine plus professionnalisant, le motion design, pour espérer avoir un travail dans la communication. Mais c’était un crève-cœur de renoncer un peu à l’idéal de la bande dessinée et j’avais l’impression de trahir mon rêve d’enfant. Donc j’ai voulu à tout prix garder les mains dans le cambouis, continuer à écrire, même si j’allais continuer des études de montage. Cette histoire de Ne m’oublie pas m’est venue parce qu’à l’époque ma grand-mère souffrait de la maladie d’Alzheimer. Elle était en maison de retraite. Il m’était extrêmement douloureux d’assister à son déclin, à son mal être. Ce livre, c’était un peu le fantasme de pouvoir l’emmener et de ce que j’aurais aimé pouvoir vivre avec elle. Un récit nourri aussi de mes réflexions de jeune femme de 21 ans à l’époque, de ce doute, de la peur de l’avenir, du passage à l’âge adulte, de la quête de sa propre identité, et puis de toutes les réflexions que m’inspirait la maladie d’Alzheimer de ma grand-mère. Quelle est la part de la mémoire dans l’identité et qu’est-ce que provoque la perte de la mémoire sur la personnalité des gens ? En quoi les deux peuvent être liées ? 

C’est à ce moment-là que Mathias Vincent, éditeur au Lombard, m’a approchée en disant qu’il avait vu les planches que j’avais soumises au concours Jeunes Talents, que ça lui plaisait beaucoup et que si jamais j’avais un projet en tête, il ne fallait pas hésiter à le lui présenter. Je lui ai montré le synopsis et il a eu un coup de cœur immédiat. Trois ou quatre mois après ma sortie de Saint-Luc, j’ai signé ce contrat d’édition. En même temps, j’ai signé mon CDI dans l’agence de communication où je faisais mon stage et finalement, je n’ai jamais fait ces études que j’avais l’intention de faire. J’ai directement commencé à travailler d’un côté en tant que salariée et de l’autre sur cet album que je réalisais le soir et le week-end.

Il n’y a pas vraiment eu de latence entre la fin des études et la vie active…

AG : Exactement. Mais en même temps, c’était aussi le résultat de beaucoup de choses que j’avais mises en place pendant mes études. Pour tous mes projets scolaires, je montais un dossier que j’envoyais aux maisons d’édition. J’entretenais des contacts réguliers avec plusieurs éditeurs parce que je me rendais beaucoup en festivals. J’essayais de rencontrer les gens. Pour moi, il fallait absolument aller vers les gens parce que les gens ne viendraient pas à nous. J’étais déterminée à réaliser mon rêve, ça me donnait un élan, un culot. C’est marrant parce qu’à Angoulême, cet hiver, j’ai recroisé un auteur qui m’a connue à ce moment-là, et il m’a dit, gentiment en souriant, « tu avais les dents qui rayaient le parquet ». Et en fait, c’est vrai. J’avais tellement peur de ne pas y arriver que ça me faisait soulever des montagnes.

Est-ce que le succès de ce premier ouvrage vous a mis une forme de pression pour le second ?

AG : Oui. Terrible. Énorme. J’avais très peur de décevoir. De me décevoir. J’ai voulu battre le fer tant qu’il était chaud et me mettre très vite sur un deuxième. J’avais une histoire en tête depuis plusieurs mois. J’ai fait trois versions du scénario avec l’impression que ça ne prenait pas. J’ai fait tout le découpage. 270 pages… Et en fait, arrivée à la fin du découpage, après un an de travail, je me suis dit que non, ce n’était pas ça que je voulais comme deuxième album. Ce n’était pas la question de savoir s’il était bien ou pas. Pour mon éditeur, il était au planning. Mais ce n’était pas ce que j’avais envie de dire en tant qu’autrice. Et c’est sur la base de cet échec, entre guillemets, en me questionnant sur ce qui est réussi à mes yeux, sur ce que j’avais envie de raconter, que j’ai rebondi et que je me suis mise à écrire Impénétrable qui là, pour le coup, a été mon deuxième album.

Pourquoi n’y avait-il là aucun doute ?

AG : Parce que c’était un récit très sincère. Je pense que c’est ce qui manquait à l’album avorté. Un récit très sincère qui me ressemblait. Qui portait une voix que je trouvais singulière, qui n’était pas là pour entrer dans un genre particulier. J’ai senti que ma place était là et je me suis lancée à corps perdu dans le projet.

Avec Impénétrable, vous allez très loin dans le récit personnel. C’est une approche avec laquelle vous avez été à l’aise ou cela a-t-il été difficile?

AG : Les deux. J’ai été très à l’aise et je me suis tournée très spontanément et très instinctivement vers l’autobiographie parce que c’est un genre qui m’habite depuis longtemps je pense. J’en lis beaucoup. Par contre, ce n’est pas pour ça que c’est facile. Se replonger dans une histoire comme Impénétrable, ça coûte beaucoup. Et surtout ça coûte beaucoup à l’entourage aussi. Me confronter à mes proches a été une étape. Pas particulièrement difficile parce que j’ai la chance d’être très bien entourée. Mais il n’empêche, ça remue beaucoup de choses qu’on préférerait, par facilité, ne pas remuer.

Vous avez reçu beaucoup de prix, celui de la Scam compris. Cela vous fait quoi ?

AG : Beaucoup de joie ! Et je me sens rassurée, je me dis que le pari est tenu, que maintenant je peux me reposer sur mes lauriers quelques années et prendre le temps. Laisser la vie se passer pour voir ce que je raconterai ensuite. J’aimerais bien mettre un peu entre parenthèses la bande dessinée. J’y reviendrai, parce que c’est ma passion. Mais ce sera plus tard. Là, j’ai envie de me consacrer à d’autres formes d’écriture qui ne sont pas forcément graphiques, me consacrer aux mots. J’aimerais bien faire de la poésie dans les mois qui viennent. Venir en tant que novice dans un milieu où on ne m’attend pas, où ça restera très, très discret. Pour m’affranchir des normes, des pressions, des attentes. C’est très rafraîchissant et ça va me faire beaucoup de bien.

Propos recueillis par Cécile Berthaud

Pour aller plus loin

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. En savoir plus sur Impénétrable, Le Lombard, 2024

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