La RTBF a décidé de mettre un terme, à la fin de cette année 2025, à l’émission Sous couverture, diffusée depuis 2019. C’est à ce jour, sur les antennes de la télévision publique belge francophone, la seule émission encore consacrée entièrement à la littérature.
Un collectif de plus de 380 autrices, auteurs, organisations professionnelles et membres des professions de l’édition et du livre signent une carte blanche déplorant la disparition de l’émission.

Il y a longtemps que le désintérêt de l’institution pour ce programme ne fait aucun doute. Diffusé sur la Trois en dernière partie de soirée, le dimanche, une semaine sur deux, produit avec
très peu de moyens techniques et financiers, il était régulièrement menacé de disparition. Sa suppression prochaine, si elle n’est pas vraiment une surprise, n’en a pas moins valeur de
symbole : celui du choix, posé par les instances dirigeantes de la RTBF, de considérer, une fois pour toutes, la littérature comme lettre morte.

Nous savons que le monde est en feu. La démocratie est attaquée comme jamais par des mouvements politiques aux projets autoritaires. Elle vacille, en de nombreux lieux. Nos sociétés semblent incapables de répondre aux bouleversements environnementaux qui leur sont promis. Et certains veulent mettre au rebut les principes élémentaires de solidarité et de dignité humaines.

Il nous semble d’autant plus invraisemblable que la RTBF choisisse justement ce moment de notre histoire, ce moment dangereux, pour liquider l’unique programme télévisé, et disponible
en ligne, dont le livre est le sujet exclusif. C’est un tel aveu de renoncement que l’on craint d’y voir un parti pris philosophique, sinon politique, parfaitement conscient.

Dans un pays de Lettres comme la Belgique, on se désole de devoir rappeler que le livre a été, et est encore, l’outil d’émancipation populaire le plus puissant et le plus accessible. Que la littérature, parce qu’elle interroge et exprime notre condition humaine, a un rôle essentiel à jouer dans la grande conversation démocratique. Elle est le lieu où notre langue commune se déploie, et au contact des livres on enrichit son imaginaire, sa pensée et sa compréhension du monde. Le livre est aussi un lieu de plaisir et de joie, où l’on peut se construire autant que se distraire.
Encore faut-il l’y aider.
Dans le monde de la toute-puissance des écrans, où la capture de notre attention par des marchands de chimères a des effets destructeurs sur la vie en société, les livres ont grand besoin, sur les antennes d’un média public, d’une place visible, quotidienne, valorisée. Le saupoudrage est loin d’être suffisant.

Soyons réalistes, demandons l’impossible

L’émission Sous couverture n’est sans doute pas parfaite. Aucune émission ne pourrait l’être dans les conditions de production qui lui ont été imposées. Mais elle est fabriquée par une
équipe passionnée, dont la compétence et la curiosité sont unanimement reconnues. À vrai dire, il ne s’agit pas de demander aux responsables de cette décision qu’ils daignent revenir sur la
suppression d’un programme bimensuel de 36 minutes. La perspective de sa fin a aiguisé nos appétits. Puisque le peu qui est concédé est déjà de trop, il est temps d’exiger beaucoup plus.
Exiger, par exemple, que la télévision publique respecte tous les termes de son contratprogramme : « faire rayonner la culture et informer, éduquer, sensibiliser, divertir et toucher tous
les publics, dont les jeunes ».

Ainsi, nous voulons que soit donnée une place importante à la production éditoriale, dans toute sa diversité : littérature, poésie, philosophie, essais, livres pour la jeunesse, bande dessinée, livres d’art…, et qu’une attention particulière soit portée aux acteurs et actrices de la FWB.

Nous voulons, sans nous substituer aux équipes de programmation, que de nouvelles émissions télévisées, consacrées prioritairement aux livres, soient créées et durablement financées, qu’il s’agisse de programmes courts et quotidiens, diffusés à une heure de grande écoute, d’une émission fédérative hebdomadaire, ou de documentaires.

Nous voulons pour cela que les équipes disposant d’une expertise reconnue se voient confier les moyens de jouer pleinement leur rôle de prescription et de critique.

Les contraintes budgétaires de la RTBF sont connues, et nous les comprenons. Mais nous voulons que la télévision prête au livre au moins autant d’attention, et pourquoi pas de moyens, qu’elle en accorde au sport ou aux loisirs.

Nous ne voulons pas tout cela parce que nous défendons une corporation. Ni même parce que, autrices et auteurs, éditeurs et éditrices, libraires, bibliothécaires, enseignant·es, membres de toutes les professions du livre, ou lectrices et lecteurs, faisons vivre un secteur économique et culturel qui pèse, chaque année, plusieurs centaines de millions d’euros.

Si nous prenons la parole, c’est parce nous croyons fermement que l’avenir de nos sociétés démocratiques dépend d’un imaginaire nourri et ouvert, de l’esprit critique, de la capacité à nommer ce que nous sommes et ce que nous vivons, toutes choses qui sont la matière et le cadeau de la lecture.

Par les temps qui courent, les décisions qui contribuent à remiser la littérature dans les placards du débat public seront assurément lourdes de conséquences.

 

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