« Taxer la connaissance, c’est taxer l’avenir »
Les gouvernements fédéral et régionaux sont confrontés à un immense défi : rétablir l’équilibre budgétaire tout en menant une politique axée sur la connaissance, l’innovation, l’emploi et le pouvoir d’achat. Mais ces ambitions risquent d’être sapées par le mantra : « tout le monde doit faire un effort ».
Vraiment ? Les infirmières doivent-elles encore travailler davantage et perdre plus de pouvoir d’achat ? Les personnes atteintes de maladies de longue durée doivent-elles simplement « serrer les dents » ? Les jeunes entrepreneurs doivent-ils supporter les mêmes charges que les grandes entreprises bien établies ? (Comparez cela, par exemple, avec les incitants fiscaux en faveur des starters aux États-Unis.)
Est-ce ainsi que l’on encourage l’esprit d’entreprise, l’emploi et la prise de risque ? Notre société en sort-elle renforcée, plus performante, plus efficace ? Et lorsque chacun aura « fait sa part » et qu’il n’y aura plus rien à rogner, que restera-t-il ? Qui, parmi nos responsables politiques, apportera alors une réponse mobilisatrice ?
Aucun vent n’est favorable à qui ne sait vers quel port il veut naviguer. On ne peut bâtir une société prospère qu’avec les femmes et les hommes qui la composent. Et pour cela, il faut de la connaissance et de la transmission du savoir. Et des livres : littéraires, éducatifs, scientifiques, narratifs ; sur le passé comme sur l’avenir ; sur la pensée critique.
Dans une économie fondée sur la connaissance, lire n’est pas un luxe, mais une condition du progrès. Dans le débat sur la hausse de la TVA, taxer le livre (et l’alimentation saine) est le mauvais levier pour qui veut rendre la société plus forte, plus saine et plus éclairée.
Celui qui cherche aujourd’hui à combler le déficit budgétaire en taxant les produits de la connaissance et les livres — qu’ils soient imprimés, numériques ou audio — creusera demain le fossé social, en ignorant à la fois le coût économique et le coût sociétal d’une telle mesure.
« Taxer le livre, ce n’est pas une mesure budgétaire, c’est une mesure contre la lecture. »
Une augmentation du taux de TVA sur les livres généraux et éducatifs rapporterait, dans le scénario le plus optimiste, moins de 21 millions € par an à un Trésor public déjà exsangue (13 millions en Flandre, 8 millions en Wallonie et à Bruxelles).
Mais cette estimation est surestimée : selon une étude néerlandaise, une hausse de 3 % des prix entraîne une baisse de 9 % des ventes de livres — soit, pour la seule Flandre, 1,3 million d’exemplaires vendus en moins chaque année.
Encore un peu plus de désaffection pour la lecture. Encore un peu moins de savoir et d’excellence.
Les scores de compréhension en lecture en Flandre montrent déjà une tendance négative : 24 % des élèves (PISA 2022) n’atteignent pas le niveau de base, et près de 18 % des adultes (PIAAC / PRSL 2021) sont en situation d’illettrisme fonctionnel.
L’illettrisme est un problème structurel, et il ne fait guère de doute que les prochains résultats PISA (2026) confirmeront cette dégradation.
Le professeur Wouter Duyck a calculé ce coût pour la Flandre : 425 millions € par an, uniquement pour les effets directs (moindres recettes fiscales, hausse des allocations, coûts sociaux et de santé). Les effets indirects — baisse de la consommation, perte de confiance dans les institutions, difficultés d’intégration sociale, surreprésentation dans la criminalité — n’étaient même pas pris en compte.
« Tout le monde doit faire un effort » sonne juste, voire solidaire, mais ne l’est pas. C’est un slogan qui évite de penser plus loin que le court terme : la solution la plus facile, mais la moins efficace.
Au-delà du coût sociétal et des pertes d’emplois (donc d’un coût direct pour les finances publiques), le secteur du livre est un écosystème déjà fragilisé par des marges extrêmement faibles, la hausse des coûts de production et de main-d’œuvre, et la concurrence étrangère.
Faut-il vraiment continuer à l’affaiblir et à appauvrir le marché ?
Les maigres revenus supplémentaires s’évaporeraient rapidement, car les écoles (non assujetties à la TVA), les bibliothèques et les pouvoirs locaux devraient mobiliser davantage de moyens pour maintenir leurs budgets d’achat de livres et de matériel pédagogique.
Des programmes tels que Boekstart ou Bibliotheek op School en Flandre ou le Plan Lecture côté francophone deviendraient encore plus coûteux.
Souhaite-t-on vraiment rendre les livres et manuels scolaires plus chers, et priver enfants et étudiants d’occasions d’apprendre, pour à peine 0,0008 % du déficit budgétaire ?
Cela ne semble pas correspondre à la vision des ministres Zuhal Demir et Caroline Gennez, qui affirment vouloir encourager la lecture chez les enfants et promouvoir l’égalité des chances.
Augmenter la TVA sur les livres ? C’est une fausse bonne idée.
Avec un taux à 9 %, la Belgique rejoindrait les pays les plus taxés d’Europe.
À l’inverse, des pays comme l’Irlande, la Tchéquie, le Royaume-Uni, la Norvège et le Danemark ont supprimé la TVA sur les livres, après avoir constaté les effets économiques et culturels négatifs d’une telle mesure. « Taxer la lecture, c’est taxer l’avenir. »
« On ne peut pas, tout en prétendant investir dans le travail, l’économie et l’innovation, rendre plus difficile l’accès à la connaissance. »
Les éditeurs, libraires et auteurs — flamands et francophones — ne réclament aucun traitement de faveur, mais simplement de la cohérence politique : une baisse, voire une suppression de la TVA sur le livre.
La réduction de la TVA sur les livres n’est pas un cadeau fiscal : c’est un investissement dans la littératie, la compétitivité et la résilience démocratique de notre pays.
Les livres ne sont pas des rustines budgétaires, mais les piliers d’une société fondée sur la connaissance.
Signataires :
L’ADEB, Les éditeurs singuliers, PILEn, La Scam Belgique, Le SLFB, L’APBFB, La FIBBC, GEWU, GAU, Le Vlaamse Auteursvereniging, Boekhandels Vlaanderen, BoekenOverleg