« Un film puissant comme un goutte à goutte qui s’infiltre. Merci à Marion d’avoir ouvert si grand son histoire pour nous aider à porter les nôtres » : quelques mots pour se plonger dans l’univers de Marion Sellenet qui reçoit le Prix Commun Scam x SACD 2024 pour Marion ou la Métamorphose. Découvrez à cette occasion l’éloge écrit en son honneur par le Comité ainsi qu’un entretien passionnant avec elle.

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Bon nombre de nos auteurs et autrices étant membres de nos deux sociétés et traversant nos différents répertoires, la SACD et la Scam se joignent comme chaque année pour décerner un prix commun. Les frontières entre fiction et documentaire, entre cinéma d’animation et illustration sont poreuses. Les formes d’art se nourrissent les unes des autres et l’autrice que nous honorons cette année nous le prouve bien. Ce prix commun est aussi une manière de saluer la collaboration de la SACD et de la Scam en Belgique qui sont réunies au sein de la MEDAA, notre maison à toutes et tous.

L’éloge du Comité

Riche de son savoir-faire poétique en animation, Marion Sellenet a réalisé – en collaboration avec Laëtitia Moreau – son premier documentaire Marion ou la Métamorphose. Ce film, aussi intime qu’ouvert sur le monde, nous fait découvrir son parcours avec « FSH ». Trois lettres pour une maladie « évolutive » (que la médecine dirait « dégénérative »). Un renversement par le sensible de ses peurs et des nôtres. Comment écrire la frontière entre celles et ceux qui vont bien et celles et ceux qui portent maladies ?
Comment la retourner, et avec, le cerveau des spectateurs et spectatrices ? C’est ce que nous offre Marion ou la Métamorphose. Un film beau par ses corps qui bougent « comme ils sont » et par leur tendresse. Un film puissant comme un goutte à goutte qui s’infiltre. Merci à Marion d’avoir ouvert si grand son histoire pour nous aider à porter les nôtres, d’avoir sublimé ses « failles », pour nous faire voir sa force.

 

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Quant à son travail graphique, son travail de collage et d’animation, c’est leur vivacité qui les définit. Colorée, texturée, brutalement ou finement découpée, la matière y est vive
et dense, fragmentée puis recomposée pour construire un tout. Ce tout est à l’image de l’artiste qui porte l’imperfection à sa hauteur la plus belle. La SACD et la Scam se joignent pour rendre hommage à son travail protéiforme qui emprunte papier et film avec la même force.

Céline Beigbeder, Présidente du Comité belge de la SACD
Isabelle Rey, Présidente du Comité belge de la Scam


Marion Sellenet brouille les frontières de la maladie

Dans son premier long-métrage documentaire, Marion ou la métamorphose, l’artiste plasticienne raconte avec beaucoup de sensibilité et d’humour son expérience de la FSH, une forme de myopathie incurable, dite dégénérative, avec laquelle elle vit depuis l’enfance. Rencontre avec une autrice accomplie, à l’inventivité visuelle débordante…

Aliénor Debrocq : Marion Sellenet, pouvez-vous nous raconter la genèse de ce film, co-réalisé avec Laëtitia Moreau ?

Marion Sellenet : Au départ, je voulais faire un film sur une personne que j’ai rencontrée, Vincent, atteint comme moi par la FSH, mais à un stade plus avancé de la maladie. J’avais quelques expériences en animation, mais pas d’expérience de réalisation, alors j’ai suivi des parcours d’accompagnement en documentaire, au cours desquels la caméra s’est retournée et m’a fait apparaître comme personnage. Porter un format de 52’ sans avoir jamais réalisé de courts métrages est un sacré défi : un de mes producteurs m’a proposé de travailler en duo avec Laëtitia Moreau pour porter ce film ensemble. Elle m’a amenée à dévoiler certaines parties de mon histoire, à faire intervenir ma famille et a amené l’idée de rejouer mon vécu… Chacune avait ses compétences : moi l’animation, elle la mise en scène. De l’écriture au montage, on a tout fait ensemble en ayant à cœur de nous y retrouver toutes les deux sur les choix artistiques. La science des rêves de Michel Gondry est la référence qui nous a guidé dans nos inspirations, mais on retrouve aussi des références à Frida Kahlo ou à Pierre et Gilles… C’est la rencontre de nos deux créativités, de nos deux univers, qui a abouti à cet objet et nous a permis d’aller vers de nouveaux endroits, encore inexplorés de nous…

AD : Votre œuvre est à la fois un documentaire et un film qui comporte de l’animation : cette particularité était-elle présente dès le départ ?

MS : Il était évident pour moi qu’il y aurait de l’animation, mais c’était très flou. J’ai d’abord eu comme idée de faire des marionnettes en argile… Les arts plastiques sont mon médium de prédilection, et le collage est très vite arrivé dans l’aventure. J’avais déjà testé la technique du banc-titre en école d’art, j’ai fait une résidence de plusieurs mois au sein de l’atelier de production Zorobabel, où j’ai pu tester beaucoup de choses et m’entourer des bonnes personnes. Par ailleurs, je ne suis pas très portée sur la technique, je préfère la surprise et l’improvisation que la maîtrise. Dans ma vie, l’art a toujours été un fil continu qui ne s’est jamais cassé, il m’a soutenue et accompagnée depuis l’enfance, m’a donné une vocation.

AD : Qu’est-ce que ça vous a apporté de considérer votre vie comme une matière documentaire ?

MS : J’ai beaucoup aimé l’aspect thérapeutique que ça m’a procuré : me réapproprier mon histoire en me la racontant, notamment du point de vue médical, m’a fait prendre du recul. À présent que le film est terminé et a été partagé avec le public, c’est comme si cette version de l’histoire venait écraser l’ancienne : c’est devenu mon récit à moi, ma nouvelle réalité, comme une seconde histoire qui permettrait de réparer le réel. C’était aussi un sacré challenge d’accepter d’être filmée dans ma vie de tous les jours et de m’adresser à la caméra : je l’ai fait grâce à la complicité de Laëtitia Moreau et j’ai été surprise d’être plutôt à l’aise, en fin de compte. J’avais arrêté de m’exposer corporellement à l’adolescence et j’ai découvert que ce n’était pas si atroce de renouer avec mon corps à l’image (rires). J’ai retrouvé là un truc de l’enfance que j’aimais beaucoup, le plaisir du déguisement. C’était un vrai travail d’équipe, très soutenant !

AD : La métamorphose dont il est question dans le titre, c’est celle du regard que vous portez sur votre maladie, la FSH…

MS : C’est raconté assez rapidement dans le film, du fait de sa durée de 52 min, mais ce changement a pris énormément de temps pour moi, et le déclic n’a été possible que grâce à toutes les petites pierres posées avant. Ça s’est accéléré quand j’ai rencontré Vincent, dont l’état était plus avancé que le mien, et pourtant pas si dramatique à ses yeux : imaginer ce que je pensais être le pire m’a permis de passer à autre chose. De guérir du désir de guérir… J’ai fait d’autres rencontres humaines, littéraires et philosophiques qui m’ont forgée intellectuellement ; j’avais besoin d’une construction autour de la maladie et du handicap. Ce sont des médicaments très puissants pour l’esprit. Avec tout ça, je voulais faire un film qui éclaire, qui donne à voir autrement, qui puisse apporter une révolution intérieure comme j’en ai eues grâce à certaines rencontres ou certaines lectures. Une personne m’a écrit qu’elle avait attendu cette œuvre depuis longtemps. C’est très gratifiant de voir que je peux avoir à mon tour ce rôle inspirant pour d’autres…

AD : Ce film parle aussi du regard porté sur le handicap dans notre société ; avez-vous l’impression qu’il a évolué depuis le diagnostic reçu quand vous aviez quinze ans ?

MS : Le handicap et l’inclusion, c’est un vrai sujet. Quand on est pas dans les bonnes cases, c’est la même chose pour toutes les minorités, on se retrouve dans une situation précaire, où l’on ne peut tenir que si on est bien entouré… Le handicap est toujours révélateur des dysfonctionnements de la société. Le manque de considération, la posture des médecins, le fonctionnement médical restent à peu près pareils aujourd’hui. Il y a heureusement certaines évolutions : certains s’en saisissent, d’autres non. Mon expérience est d’aller vers les personnes qui partagent ces considérations et de ne pas m’attarder sur les autres. Je me suis renforcée, je me sens plus autonome et mieux armée. Je prends aussi de plus en plus mes distances avec un certain monde médical, mais j’ai quand même envie que le film serve à relancer la discussion… J’ai eu beaucoup de retours de personnes qui vivent avec des problématiques très différentes de la mienne, et qui sont pourtant touchées intimement par ce que je raconte.

AD : Est-ce que cette première expérience dans le cinéma vous donne envie de continuer dans cette voie ?

MS : J’ai toujours été fan de documentaires et j’ai adoré cette expérience, c’est une chance inouïe. Les étoiles se sont réunies… Quand on fait du documentaire on peut ne plus jamais s’arrêter. C’est génial de bosser en équipe et, oui, j’ai envie de continuer à parler de ce sujet, à le mettre en lumière, mais physiquement, le cinéma c’est très intense, il y a des échéances, un planning à tenir, c’est un vrai tunnel de travail qui n’est pas adapté à ma condition physique. Le travail et le handicap ne sont pas en phase avec la société libérale dans laquelle nous vivons… En ce moment, je conçois l’univers graphique, les personnages et les décors d’un court-métrage d’animation dont la sortie est prévue à la télévision cet automne : La Question, d’Alberto Segre, qui porte sur la guerre d’Algérie.

Propos recueillis par Aliénor Debrocq

Pour aller plus loin

. Découvrir l’ensemble du Palmarès 2024

. Découvrir le site de l’autrice

. Lire l’article écrit par Adrien Corbeel  « Documentaire : Marion ou la Métamorphose, au-delà de la maladie » sur le site de la RTBF Actus