Cinéaste dans la petite trentaine, Maxime Jean-Baptiste aime fouiller la mémoire et les archives pour lutter contre l’histoire imposée. Après trois courts-métrages, il a réalisé en 2024 son premier long. Kouté vwa est sélectionné dans plusieurs festivals, dont celui de Locarno, et aux Etats généraux du film documentaire de Lussas du 17 au 23 août.
Comment êtes-vous tombé dans le cinéma documentaire ?
Au départ, j’étais très intéressé par la fiction. J’ai commencé des études à l’école de recherche graphique (l’erg, ndlr) à Bruxelles, et l’une des professeurs était Manon de Boer qui est une vidéaste hollandaise. Voir ses films m’a clairement ouvert au documentaire, assez proche de l’expérimental dans son cas. Elle m’a aussi montré d’autres films et au final d’autres façons de faire du cinéma que par la fiction. J’ai commencé à faire mes propres films, les trois premiers ont été des courts-métrages qui réunissaient des images d’archives.
Comment vous vient le sujet d’un film ?
J’ai beaucoup traité dans mes films de la Guyane. C’est un territoire dont je suis originaire et qu’il est important pour moi de travailler, surtout en termes d’images car il y a beaucoup d’images parfois fausses qui sont renvoyées de la Guyane. A la fois vue d’un côté folklorique ou d’aventure, et d’un autre côté de manière très négative avec le commerce de l’or ou la violence. Pour moi le cinéma permet de proposer d’autres images et in fine de sortir des clichés. Le plus souvent les sujets me viennent des choses qui me touchent. Et j’ai beaucoup travaillé sur ma famille (comme dans les courts-métrages Nou voix, 2018, et Moune Ô, 2021, ndlr).
Et une fois que l’envie, l’idée du sujet est là, quel est votre processus de création ?
Ça dépend à chaque fois des films. Mais je démarre avec des inspirations et des références. Donc souvent, je commence par me faire un moodboard, c’est un espace avec plein de références d’images, de films que j’adore, qui me touchent et dont j’aimerais retrouver les sensations. Ça m’aide toujours à définir ce vers quoi je veux aller, en termes de ressenti. Et après, je travaille beaucoup avec des archives, et avec la réflexion qu’elles induisent sur l’image, sur la façon dont on fait des images. Donc je pars toujours d’images préexistantes.
Pourquoi la mémoire et l’histoire coloniales vous travaillent-elles tant ?
Souvent dans l’histoire de la Guyane, des outre-mers et plus largement coloniale, on est face à une mémoire qui nous est imposée, avec des images qui le sont tout autant. Or ce n’est pas forcément ça, notre mémoire et il y a un combat à mener pour le dire. Le cinéma peut être une porte pour créer une mémoire alternative. D’autant que c’est un art qui charrie l’écrit, mais aussi la voix, le chant, la musique qui sont très importantes dans la culture guyanaise. Pour moi, c’est un enjeu crucial de penser depuis le territoire, depuis le vécu des gens.
Votre dernier film, Kouté vwa, poursuit dans cette veine en s’approchant au plus près du deuil des proches de votre cousin Lucas Diomar poignardé en 2012. C’est un long-métrage, écrit avec votre sœur Audrey Jean-Baptiste, et qui mêle un peu de fiction au documentaire. Comment met-on en scène des histoires quand elles sont liées à des traumatismes, d’autant plus quand plusieurs des protagonistes du film les ont vécus et ne s’en sont pas tous remis ?
C’est une vraie question dans le documentaire quand on travaille avec des personnes réelles qui partagent leurs vraies histoires, qui sont à la caméra, qui viennent y raconter leurs vécus. Je pense que c’est un enjeu de positionnement pour le réalisateur, la réalisatrice de savoir où se situer et comment faire avec ces vécus-là. Pour moi c’est une vraie question d’éthique qui nous a traversés pendant tout le processus de création du film. Audrey et moi avons beaucoup avancé dans l’écriture avec des contre-exemples, avec des films où l’on sentait à travers les personnes filmées qu’il y avait une gêne, qu’il y avait une sorte d’exploitation mise en place par le réalisateur ou l’équipe de production pour exploiter des vécus. Ce dont on ne voulait surtout pas. Alors on a choisi d’être à l’écoute de ce que voulaient les personnes qui nous racontaient leur histoire et aussi du comment elles voulaient la raconter, la mettre en images. Les personnes avec qui j’ai filmé avaient énormément d’idées, on a fonctionné en collaboration, et c’est vrai que ce n’est pas fréquent dans le cinéma documentaire.
Cela a dû être très délicat à gérer en tant que réalisateur ?
Oui, c’était une expérience particulière. Ça demande beaucoup. On a, par exemple, fait plusieurs tournages parce qu’on voulait que les personnes puissent s’habituer à cette manière de tourner. Ce qui était aussi un risque financier. Mais au-delà, ça demande à chaque fois de ne pas savoir exactement où on va, de se laisser porter par le réel, par ce qui est proposé. En même temps, j’avais un cadre assez précis grâce au scénario écrit avec Audrey et ça a été une très bonne balise. C’était d’autant plus précieux que nous sommes très proches des personnages.
Dans tout le processus de création de Kouté vwa, qu’est-ce qui a été le plus ardu ?
Le plus difficile, ça a été le travail avec Nicole et Yannick, les protagonistes secondaires, car ils sont très touchés par l’histoire. A chaque scène avec eux, j’avais peur qu’ils quittent le projet parce que c’était trop dur pour eux. Nicole a eu beaucoup de mal avec la caméra documentaire, c’était trop intrusif. Mais finalement, elle s’est détendue dans les scènes de fiction. Pour Yannick, quel que soit le dispositif, c’était difficile car il est toujours traumatisé et à chaque fois, nous on avait peur de faire plus de mal qu’autre chose.
Vous êtes sorti comment de ce tournage ?
C’est une expérience assez unique qui a fait du bien car on créait un vrai hommage à Lucas, à cette histoire-là. Ce n’est plus seulement un fait divers maintenant, c’est aussi un film. Et peu de gens se posent la question de savoir comment vivent les proches après un meurtre, comment ils font leur deuil, comment ils font face au sentiment de vengeance qui est très destructeur. Ce sont des vécus invisibles.
Mais si ça reste très important pour moi de rester au plus proche des émotions dans mes prochains films, je ne vais pas retravailler avec ma famille de façon aussi proche car c’est très dur. Je n’en sors pas indemne. Personne d’ailleurs. Après, on est content du résultat du film. Mais pour le prochain, j’aimerais faire plus attention, prendre plus soin de ces questions-là.
Justement, avez-vous un projet en vue ?
Oui, je suis au tout début de l’écriture d’un projet lié à une expérience que j’ai vécue en tant que figurant sur un tournage. J’aimerais adapter cette expérience-là en réfléchissant sur le cinéma qui, sous des valeurs parfois humanistes, reproduit un système d’exploitation, reproduit de la violence.
Propos recueillis par Cécile Berthaud
Pour aller plus loin :
- Voir la bande-annonce de Kouté vwa de Maxime Jean-Baptiste
- Découvrir Les états généraux du film documentaire de Lussas