De formation, vous êtes journaliste. Vous avez d’ailleurs co-fondé le magazine indépendant Médor en 2014. Métier que vous pratiquez toujours, essentiellement en presse écrite. Dès lors, comment êtes-vous venu au documentaire ?
Justement par le journalisme. J’avais goûté à l’audiovisuel à l’Ihecs, notamment en faisant comme mémoire de fin d’études un film sur Auroville, la cité utopique en Inde. On était resté presque deux mois sur place, à quatre. On avait pu s’imprégner, travailler sur la longueur. La démarche était plus celle d’un documentaire que d’un reportage télé sur 3 ou 4 jours. Et puis j’ai fait un stage de presse écrite dans une rédaction locale à Bukavu, en République démocratique du Congo. Et c’est là, en m’intéressant à l’art populaire congolais que je suis tombé sur un artiste plasticien qui faisait ses œuvres avec des déchets, Emmanuel Botalatala, le Ministre des Poubelles. Je suis allé le voir à Kinshasa avec en tête l’idée d’un portrait documentaire de 25-30 minutes. J’ai passé plusieurs semaines avec lui, sur le terrain, à m’imprégner de sa vie, ses enjeux, ses défis, son quartier. Et je me suis rendu compte qu’il y avait bien plus de matière que ce que j’avais imaginé. Il y avait moyen de raconter une partie de la trajectoire politique du pays à travers les yeux de cet homme-là. Et c’est comme ça que j’ai fait mon premier documentaire long-métrage, Le Ministre des Poubelles, sorti en 2017.
Parvenez-vous à identifier d’où viennent vos idées de documentaires ?
Comme pour beaucoup de gens, ce sont mes lectures et les rencontres qui en sont souvent la source. Parce que la curiosité est la base du processus d’alimentation du travail. Mais les idées viennent aussi d’une veille journalistique quotidienne. Et selon le sujet, je vais me dire ‘non, là, le journalisme n’est pas le bon véhicule’. Mais pour Après la pluie, cela a été encore différent. On est d’abord allés, avec Jérémy Parotte, aider les gens et faire notre travail de citoyens verviétois. Une fois que la couverture médiatique est retombée, trois ou quatre mois après le drame, on s’est rendu compte qu’il y avait l’espace pour faire un documentaire et penser les choses autrement.
Et pour la mise en œuvre, avez-vous une façon de faire habituelle ?
Je n’ai pas de recette précise, si ce n’est le travail d’équipe auquel je crois beaucoup. Je ne pourrais pas faire de documentaires seul. En plus, je ne filme pas. Donc je travaille toujours avec quelqu’un qui filme et c’est quelque chose qui est assez moteur dans le travail, il y a un dialogue tout au long du processus de création. La constitution de l’équipe est donc un moment-clef. C’est ce que j’apprécie aussi dans mon travail de producteur de documentaires, c’est que c’est un espace où il y a de l’échange. Entre producteur·ices, entre réalisateur·ices, on donne, on reçoit des conseils, des infos.
Aujourd’hui, vous avez plusieurs documentaires à votre actif. Y a-t-il toujours des différences entre l’idée de départ et le film finalement abouti ?
Le film qu’on imagine au début est très rarement le film auquel on arrive à la fin. Et c’est ce qui est très bien avec le documentaire, je trouve. Le réel va nous confronter à nos idées reçues, à ce à quoi on s’attendait qui est parfois moins bien – ou mieux – que ce qu’on imaginait. Donc on doit s’accommoder de tout ça. Être déçu d’une séquence en documentaire fait partie du travail. Alors comment va-t-on raconter les choses autrement si la séquence ne fonctionne pas ? C’est ce qui est bien, on est toujours dans une position où il faut faire des choix, réfléchir, avoir sa matière en tête, être capable de la repenser. Le dossier d’écriture est un super outil, il permet de baliser sa réflexion, sa narration, mais c’est un outil dont on doit savoir se départir par moments car le documentaire c’est la rencontre. Avec ses aléas. Et le film évolue jusqu’à la toute fin. Montage, son, étalonnage, tout ça le façonne. Il y a aussi des documentaires qui sont plus écrits, mais je pense que c’est dans la volonté de servir un objectif assez clair de narration. Et ça montre que le documentaire est un objet de cinéma comme un autre, comme une fiction.
Vous êtes le parrain de cette édition du Mois du Doc dont le thème, cette année, est « Territoires ». En quoi ce thème est-il pertinent en ce moment ?
L’an dernier, Après la pluie a eu plein de séances dans le Mois du Doc. Il y a eu un grand intérêt des centres culturels et des scènes pour ce film qui était sorti peu avant dans les salles. Donc on était dans une logique d’aller parler dans beaucoup d’endroits de cette question des inondations et de l’aménagement du territoire. Quand on m’a proposé d’être parrain de cette édition-ci du Mois du Doc, j’ai souhaité prolonger la thématique de l’an passé qui était « Diversité » en l’appliquant à celle des territoires. Il y a les territoires en lutte, où des citoyen·nes tentent de se réapproprier le territoire, il y a tous les enjeux de territoire du corps, autant le corps physique que la question du genre. On va faire aussi une table ronde, à la MEDAA, où va être soulevé un biais : nous sommes aujourd’hui dans une création et une production qui sont fort ancrées dans le territoire bruxellois. Or il est crucial que les gens des plus petites villes et des zones rurales ne se sentent pas mis à la marge. Et le Mois du Doc est un excellent moment pour ça car c’est 180 séances dans plein de centres culturels différents. Donc ça montre qu’il est possible de mettre en place cette diversité territoriale. On est dans une société qui se divise un peu, donc il est important de se poser cette question : quelles sont les préoccupations des gens qui sont les moins représentés ?
Propos recueillis par Cécile Berthaud
Pour aller plus loin :
- Les documentaires de la la société de production de Quentin Noirfalisse : Dancing Dog Productions
- La bande-annonce de «Après la pluie»
- La programmation du Mois du Doc et l’édito de Quentin Noirfalisse
- Rendez-vous ce vendredi 21/11 de 15h à 18h à la MEDAA pour la Rencontre sur les territoires en documentaire. Gratuite mais sur inscription.