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Focus sur Charline Lambert, Prix Scam du Parcours littéraire en 2020

jeudi 1 avril 2021

"Elle donne au lecteur la sensation de partir en voyage dans une autre langue que la française" : quelques mots pour commencer à décrire le travail de la poétesse Charline Lambert, qui a reçu le Prix Scam 2020 du Parcours littéraire. Découvrez à cette occasion sa bio, mais aussi l'éloge écrit pour elle par Isabelle Wéry, et un portrait de la lauréate, que nous félicitons encore et encore !

 


L'autrice

Charline Lambert est née en 1989 en Belgique. Romaniste de formation, elle termine une thèse de doctorat en lettres.

Elle a publié quatre ouvrages poétiques : Chanvre et lierre (Le Taillis Pré, 2016), Sous dialyses (L’Âge d’Homme, 2016), Désincarcération (L’Âge d’Homme, 2017) et Une salve (L’Âge d’Homme, 2020). Elle est également chroniqueuse pour le blog Le Carnet et les Instants.

Pour tout savoir, rendez-vous sur sa page Bela !


L'éloge du comité

L’écriture de la poétesse Charline Lambert nous séduit car elle est d’une richesse particulière : elle est sensible à 1000%. Chaque nano-parcelle de phrase ouvre vers des interprétations et des images multiples. C’est effusion d’euphorie.

La langue utilisée est sertie de mots rares qui confèrent à l’ensemble une aura d’étrangeté et d’ailleurs. Dense et jouante, ornée de syllabes diamantées, elle donne au lecteur la sensation de partir en voyage dans une autre langue que la française. La poésie de Charline Lambert marque, elle est addictive. C’est une poésie qui traversera le temps, nous en sommes convaincu·es, car les sujets abordés sont universels et inhérents à cet état singulier qu’est celui d’être en vie.

Par l’attribution de ce Prix, nous souhaitons souligner la récente sortie de son quatrième recueil publié à L’Âge d’Homme Une salve. Le corps est au cœur de ce nouvel écrit, Ce corps, ce fleuve de feu craché par la langue. Et il s’agit bien d’une chair jubilatoire distillée au fil des mots.

Isabelle Wéry,
Vice-Présidente du Comité belge de la Scam

 

Une poésie fulgurante, de chair et de mots

On connait l’expression « amoureuse des mots » et nous pourrions indéniablement dire que Charline Lambert en est une digne représentante ! La jeune femme entretient une passion intense pour le mot juste, précis et dense. Et c’est justement parce que cet amour et cette séduction des mots sont complexes que Charline est continuellement à la recherche d’une adéquation entre le mot et l’objet du monde. Comme le dit si justement Isabelle Wéry, la langue utilisée est sertie de mots rares qui confèrent à l’ensemble un sentiment d’étrangeté et d’ailleurs. Cela donne au lecteur une sensation de partir en voyage dans une autre langue.

Qui connaît aujourd’hui les termes mydriase, éphélide ou encore cendraison ? Ces mots oubliés et désuets, la poétesse les utilise pour nous emmener avec elle, nous inviter à nous laisser emporter par un terme, sentir comment il peut nous emporter dans ce que nous sommes. Et, peu importe ce qu’il veut dire, finalement ! Si l’on peut être tenté·e de s’emparer d’un dictionnaire, très vite, la lecture s’emballe pour nous laisser guider par nos seules perceptions.

À ce jour, Charline Lambert a publié quatre recueils, très différents mais qui suivent une ligne conductrice qu’elle nous détaille volontiers : Chanvre et lierre, c’est vraiment un livre qui réunit un ensemble d’extraits que j’avais compilés durant plusieurs années. Un jour, j’ai réalisé qu’il y avait un fil rouge qui apparaissait entre ces extraits. Une fois que j’ai eu ce fil rouge, j’ai décidé de lui donner la forme d’un bouquin. Je l’ai envoyé à Yves Namur pour avoir son avis. J’étais encore un peu timide à ce moment-là, donc j’y ai repris des figures de l’Odyssée pour les réinvestir avec ma coloration à moi. Et puis le deuxième livre, ça a été une réelle libération. J’avais entendu que mon travail pouvait être acceptable et intéressant.

Et je me suis dit qu’il était temps de me libérer des figures du passé. J’ai donc pondu, j’aime bien ce terme-là même si je ne sais pas si tu le mettras, Sous dialyses, où j’ai pu m’émanciper des figures de notre Antiquité à nous. J’ai vraiment pu trouver ma voie. Avec cet ouvrage, j’ai compris quelle était l’assise de mon écriture, le désir qui participait à l’élan vital et d’écriture qui m’anime. Je l’envisage comme un livre de transformation, au sens chinois du terme. Ce livre condense tout ce qui allait se déployer après.

Il y a ensuite eu Désincarcération dans lequel j’ai totalement pris le contre-pied de ce que j’avais fait auparavant. J’ai opté pour une écriture plus tranchante. Je n’étais pas dans une humeur formidable à ce moment-là, mais je gardais quand même cet amour des mots, la richesse des mots, leur densité, comment je pouvais trancher dedans et comment ça allait par rapport aux livres précédents.

Conjurer tout ce qui précédait, conjurer les événements qui me faisaient du mal. Désincarcération, c’est la rupture dans l’amour des mots. Et la cicatrice de la couverture le dit bien. C’est cette cicatricelà que je voulais conjurer. À la suite de cette conjuration, il y a eu Une salve. Là, c’était vraiment invoquer pour faire perdurer le mouvement.

La poésie de Charline Lambert est une grande bouffée d’air, tonique, volubile, explosive allant parfois jusqu’à être brutale – Pénélope est une chienne qu’on a muselée / La croupe en offrande, elle se donnait. L’autrice va droit au but, touche à l’essentiel, à notre essentiel pour raviver, vibrer, sentir, ouvrir à l’autre et au monde. Ses vers se lisent, mais s’entendent aussi tant leur force sonore est intense et puissante.

Pour nous, la poétesse s’est prêtée au jeu du commentaire de ses propres vers :

reste ta structure
d’où tu te désincarnes, te désincarcères,
carcasse où vivent
pourtant
de fragiles joies 
Extrait de Désincarcération

C. L. : Dans Désincarcération, mon écriture se voulait plus « tranchante » que dans les deux recueils qui précédaient. Couper, tailler dans le vif, dans le nerf du mot comme dans celui du propos, pour ne pas prolonger les douleurs : trancher soulève, forcément.

Habiter la nuit – et devient thorax, cette cage où ont feulé mille colères assourdies.
Entrer dans la mer – et deviennent tridacnes, ces plaies que l’attente a ouvert dans mes remous
Extrait d’Une salve

C. L. : Tridacnes. Est souvent soulignée chez moi ma propension à l’utilisation de mots rares ou précieux. Ce faisant, quand bien même j’aimerais ces mots pour leur épaisseur phonique et conceptuelle, pour leur densité, je courrais le risque de «  perdre des lecteurs  ». Pourtant, je n’ai jamais prétendu vouloir «  en gagner  ».

Que ma langue soit toujours baignée, baignée par trois fois – salive, sang et mer – ; que mes cheveux soient toujours légers, légers comme lianes, abritant toutes les frondaisons ; que soient toujours détourées des formes simples dans la fourrure du marbre.
Texte paru dans le numéro 11 de la revue La Cinquième Saison, 2020

C. L. : L’éditrice Florence Schluchter-Robins, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur les épreuves de mes textes parus à L’Âge d’homme, a rejoint le comité de rédaction de la revue La Cinquième Saison, revue littéraire romande. À l’occasion du beau numéro 11, intitulé « Passage du poème  », je lui ai confié quelques textes que j’avais regroupés sous le titre Là où est le large est la langue. Probablement le titre qui condense le mieux ce dont mon écriture procède.

Ce côté lapidaire, elle le revendique pour contre-carrer, court-circuiter, trouver un nouveau souffle et imposer une brièveté. Un vers, une courte phrase par page, mais cela suffit. Cela permet surtout de percevoir ce besoin de trancher dans le vif pour ne garder que l’essentiel. Au quotidien, elle note des mots, à gauche et à droite, des coups de cœur qui se retrouvent dans ses « petits carnets des beaux mots » pour se faufiler dans les vers de ses poèmes.

July Robert


Pour aller plus loin

. Pour tout savoir sur le palmarès, vous pouvez lire en ligne ou télécharger la publication dédiée.

. Voyez la remise des Prix en vidéo ici...

. ... Et découvrez des photos de la cérémonie et ses coulisses là !

. lire l'article que Jean-Claude Vantroyen consacre à Charline Lambert et son prix dans Le Soir

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