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Focus sur Joëlle Sambi, Prix Scam du Parcours littéraire en 2021

jeudi 13 janvier 2022

« La poésie devient la prose combat, la rime qui sauve, le langage manifeste » : quelques mots pour commencer à décrire le travail de la poétesse Joëlle Sambi, que le Comité belge de la Scam a récompensée de son Prix du Parcours littéraire en 2021. À cette occasion, nous lui adressons nos plus chaleureuses félicitations, et vous proposons de lire l'éloge du Comité ainsi qu'un portrait passionnant de l'autrice rédigé par Aliénor Debrocq.

 

Joëlle Sambi est une militante lesbienne afroféministe. Elle est autrice, poétesse et réalisatrice. Elle travaille actuellement sur son premier documentaire Pinkshasa Diaspora, un poème politique qui dessine le paysage des homosexuels de la diaspora congolaise. Son écriture est étroitement liée à son militantisme.

Prise entre plusieurs identités qui se confondent, Joëlle Sambi écrit et pose des questions sur l'identité, les normes, l'appartenance, elle mélange plusieurs langues et ses écrits en portent les traces. 

Elle vit à la frontière et l'étrangeté de sa langue conduit son écriture vers la poésie, vers le slam. Elle crée ses deux premiers spectacles de slam dont elle a coécrit les textes : Angles Morts et Koko Slam Gang, un spectacle qui donne la parole à un groupe de grands–mères congolaises âgées de 65 à 88 ans. 

Pour en savoir plus, lisez sa page sur Bela !

L'hommage du Comité

Joëlle Sambi, autrice, activiste féministe LGBTQI+, poétesse, slameuse… Lorsqu’on évoque son nom, il vient tout de suite une énumération. C’est que son parcours est singulier, se moque des frontières, des découpages en catégories, en disciplines. Ce qui la caractérise pourtant, c’est une intransigeance parfaitement cohérente, dans tous les domaines où elle se déploie.

Et si son parcours est singulier, il n’en est pas moins inscrit dans la lignée des poétesses militantes. L’écriture de Joëlle Sambi est profondément marquée par l’entremêlement des langues. En effet, elle parle lingala, swahili, néerlandais et français. Son arme c’est la plume Caillasse.

L’action politique collective, la militance, n’est jamais loin : lorsqu’elle affronte le racisme d’État dans ses textes, elle le dénonce dans la rue, en organisant des manifestations d’une ampleur inédite, entre deux confinements. Elle écrit la colère et la transforme en force pour une révolution. Parcours de plume de mots et de combats : aujourd’hui la poésie devient la prose combat, la rime qui sauve, le langage manifeste et Joëlle Sambi a creusé ce sillon fertile.

Laissons–lui la dernière parole :
« Je suis chaque jour qui se lève violemment
sur les cadavres de nos rêves embaumés.
Relire Robinson Crusoé et quitter l’île ».


Laurence Rosier et Renaud Maes, Membres du Comité Belge de la Scam

Joëlle Sambi, le stylo comme une arme

Romancière, poétesse et slameuse, Joëlle Sambi Nzeba dégaine la plume et déclame ses mots sous le signe d’une nécessaire colère : portrait d’une autrice–activiste lucide et déterminée.

Ces derniers mois, elle est partout : sur les planches du Théâtre des Doms à Avignon, au Théâtre National dont elle est devenue autrice associée, dans les pages de son nouveau recueil, Caillasses, paru cette rentrée. Dans ce premier livre de poésie paru à L’Arbre de Diane, Joëlle Sambi Nzeba déploie sa langue affûtée pour dire les violences raciales, sexistes, homophobes, et bousculer les préjugés.

Militante féministe et LGBTQ+, l’autrice et slameuse belgo–congolaise mène aussi un travail de plateau, co–signant des spectacles aux frontières de la musique, de la danse et du théâtre, comme son Congo Eza, où elle partage la scène avec la poétesse Lisette Lombé et le rappeur Badi. Le slam y est « sa vérité » pour mettre au premier plan « les éboueurs en fluo, les techniciennes de surface, la caution morale, le quota couleur ». Une forme orale qu’elle propose aussi sous forme d’ateliers citoyens pour « permettre aux personnes de trouver les moyens de se mettre en avant ».

Une activité s’apparentant à l’éducation populaire, essentielle pour celle qui a eu besoin de temps, entre le succès de son premier roman – Religion Ya Kitendi, publié au Mercure de France et Prix du Jeune Écrivain 2005 – et l’écriture (en cours) du second, pour accepter sa position d’autrice, paralysante à 27 ans : « J’étais très jeune, je n’avais pas le même recul ni le même réseau qu’aujourd’hui, ça m’a fait prendre une autre direction dans l’écriture, mener un travail collectif, plus confidentiel. La lutte, le travail, la vie, ont fait que je me suis plongée dans le slam, mais je n’ai jamais arrêté d’écrire. »


Le choc des mots

Née à Bruxelles, où elle passe ses premières années, Joëlle Sambi a grandi à Kinshasa et n’est revenue en Belgique qu’en 2001 pour y poursuivre des études de journalisme à l’Université Libre de Bruxelles. Bien qu’elle dissocie sa provenance et son travail d’écriture, le Congo et la Belgique sont présents dans ses écrits, qui portent la trace de plusieurs langues. Elle y soulève des interrogations multiples sur l’identité et l’appartenance, comme le soulignait récemment Véronique Bergen dans Le Carnet et les Instants : « Slameuse, Joëlle Sambi déconstruit les normes, toutes les normes, genrées, patriarcales, linguistiques, politiques, elle ravage l’étatique par des flux qui bousculent le français par le lingala, le continu par le fragmentaire, le présent par le passé (…) Son écriture est tripale et charnelle, archéologique et incantatoire. Elle migre vers des corps jouissants, ausculte les battements de cœur, d’orgasmes, les flux et reflux du désir. »

Aujourd’hui, la reconnaissance arrive à point nommé comme le résultat d’un travail long et régulier : un « alignement des astres » que l’autrice voit comme une belle opportunité et la preuve que des vérités s’écrivent et se fomentent depuis les marges, et que cette frontière entre les genres gagnerait à être de plus en plus floue : « C’est beau que ça traverse, que ça transfuge. Ce que je fais reste de l’écriture et du travail scénique. Les arts urbains sont toujours périphériques des grands plateaux, ils se créent sur les quais des gares et ça ne va pas changer. On peut craindre la récupération ou éprouver une sorte de fascination pour cette beauté dite authentique, mais c’est une vision très exotisante et angélique de la réalité ! La vérité, c’est que se geler dans un hall de gare parce qu’on n’a pas d’autre espace pour s’exprimer, c’est pesant ! Si on veut exprimer des choses, autant le faire avec le chauffage ! Je ne vois pas pourquoi le slam ou la danse urbain ne pourraient pas trouver leur place au théâtre. »

Lucide, Joëlle Sambi sait d’où elle vient et mesure ses privilèges, tout comme elle se dit consciente du phénomène de « tokénisme » à l’œuvre dans les invitations qui lui sont faites de la part d’institutions prestigieuses, soucieuses de l’alibi parfait qu’il y a à convier une poétesse et slameuse lesbienne et noire sur scène : « Ça protège, ça en jette, ça fait bien. J’y gagne et j’y perds, avec cette étiquette nouvelle de token qui me colle désormais à la peau. Je l’assumerai, mais pas à n’importe quel prix. Tout est dans la concrétude des choses : comment mettre collectivement nos mains à la pâte, comment se décentrer. Si on veut colorer, il ne faut pas se limiter à un point de couleur, allons–y franchement – et je ne parle pas que de la mélanine ! Je ne suis pas dupe de la chose, mais je sais aussi que ces gens apprécient vraiment mon travail. Quelque chose leur parle dans ma façon de dire le monde. »

À ses yeux, il n’y a pas de frontière entre l’écriture et la lutte : « C’est comme si je devais séparer mes différentes identités. Peut–être que la lutte ne revêt pas les mêmes atours à l’endroit de l’artistique et de la littérature, mais ce qui est transversal et se maintient, c’est la violence du patriarcat et ses corollaires : la vieille garde des mecs blancs qui s’agrippent à la poussière et sont toujours bien là, dans les jurys et les théâtres ! Que ce soit au sein du National, de La Balsamine, ou avec La Voix des sans–papiers, la même question se pose : comment moi, en tant que citoyenne, en tant que meuf, je mets chacune de mes actions au service de la lutte ? »

Joëlle Sambi se dit surprise et heureuse du prix décerné par la Scam, un prix qu’elle souhaite partager avec sa mère et ses « sœurs » de lutte : « Je ne serais pas ce que je suis si ma mère n’avait pas bossé pour que je puisse faire des études, ni sans toute cette communauté d’autrices comme Christine Aventin, Milady Renoir, Lisette Lombé... : des femmes qui m’ont toutes témoigné de l’amitié et apporté quelque chose de concret au quotidien. » À ses yeux, recevoir ce prix est la preuve que les gens à l’intérieur des institutions regardent et suivent ce qui vient des « chemins de traverse comme le slam » et considèrent la littérature plus largement qu’au sens classique du terme : « Comme j’ai beaucoup travaillé en collectif, je n’ai pas énormément de publications solo, ce qui me permet de me distinguer tout en mettant en avant le groupe. C’est très agréable de se dire que ce qu’on fait n’est pas complètement marginal. Même dans l’effacement, il y a quelque chose de l’ordre de la distinction. On peut être une individualité au sein du collectif. »


Entretien mené par Aliénor Debrocq

Pour aller plus loin

. Lisez la recension de Caillasses par Véronique ergen pour Le Carnet et les Instants

. Découvrez Caillasses sur le site de sa maison d'édition, L'Arbre de Diane

. Écoutez Joëlle Sambi dans Alinéas, le podcast créé par Bela et Aurore Engelen dans lequel auteurs et autrices se confient sur leur rapport à l'écriture

. Retrouvez l'ensemble du palmarès des Prix Scam 2021

 

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