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Parfois il suffirait d'un son, par Khristine Gillard

jeudi 14 novembre 2019

« C’est du désir, de l’invisible qui déborde. Le son est partout, le son est toujours », pour Khristine Gillard. Riches de toutes les écritures qu’elles représentent, la SACD et la Scam vous proposent dans chacun de leur Magazine des regards croisés entre des auteurs et des autrices. Pour multiplier les points de vue, confronter les idées, offrir des variations sur le thème du numéro, et se dire que parfois il suffirait d'un son...

 

« Avant d’écrire, je réécoute Avanti d’Alessandro Cortini à fond. Album qui emmène à se perdre dans ses pensées. Vieux enregistrements de famille, synthétiseur analogique, imperfections qui créent des micro trous d’air, appels aux souvenirs flous, puissance du son.

« Jamais je n’utilise de musique en documentaire. Peut-être j’aime trop la musique pour, jusqu’ici, la risquer dans cette relation de domination — là où souvent elle ne sert qu’à "renforcer une émotion" (formule aussi allergisante que "gagner la confiance", "entretenir la relation"). Si musique extra, j’aime qu’elle soit défiante, prenne toute sa place, même si discrète. Une étreinte, sans étouffer le geste. C’est rare, et troublant quand ça arrive. Chacun sa manière.

« Fabriquer le son d’un film.

« D’abord, une disponibilité. Questionner. Le son ne sort pas de l’image. Qu’est-ce que j’écoute ? Me dégager du dogme du naturel, de l’asservissement au synchronisme*, mais prendre plaisir à ne composer qu’avec les sons ramenés de ce lieu-récit-là, leur musicalité (no sound design over-bruité en studio). 

« Qu’est-ce que le son donne à voir ? Le son dit un état, une relation (on entend le vent parce qu’il siffle à travers, frotte, fait battre). Chercher entre, les pressions, les rythmes, les tremblements. Fantasmer. Accueillir les esprits, tendre l’oreille aux présences, à leurs grincements, timbres, mélodies — celles des lieux, des personnages, aussi non-humains, qui peuplent nos mondes. M’emparer d’un territoire dans le flux du sonore, comme on peut choisir de découper un cadre 4/3 dans un paysage immense. D’où j’écoute, où je suis, mon corps, mon vivant, mon imaginaire.
Quand on tourne un plan, souvent je raconte le son au chef op. Et ça aide à poser le cadre, ou le temps d’un mouvement, chargé de ce que je ne montrerai pas puisque je le glisserai à l’oreille. Faire appel à la magie des amants oreille cerveau qui créeront un synchronisme hybride et habité, une dimension absente de l’image, une provocation. On a besoin de cet écart-jeu entre image et son, comme entre deux pièces mal serrées, pour entendre ce qu’on veut donner à voir. C’est du désir, de l’invisible qui déborde.

« Le son est partout, le son est toujours. En contact avec l’air, la peau, les nerfs, nos connectiques intimes, il nous saisit sans ménagements, agite nos molécules mémoires, comme peut le faire une odeur. Notre écoute est un rapport au monde ultra personnel, brut, tendu, tordu, vibratoire, animal, violent, volatile — elle nous précise, nous situe. Et parfois, on écoute comme on crierait. »

 

* Pour Des Hommes, j’ai tourné tout le son indépendamment de l’image, sauf un plan capté en son synchrone, seul plan dont on a fait deux prises. J’ai finalement monté des éléments du son de la deuxième prise sur le premier plan, pas parfaitement synchrone.


L'autrice

Khristine Gillard est cinéaste et membre fondatrice de LABO Bxl, atelier cinématographique partagé autour du film argentique. Elle a réalisé Des Hommes (2008), Miramen (2011), Cochihza (2013), Eau Vive - Conversation with a Cinematographer (2015).
Ses projets prennent aussi la forme d’installations (Le Matin des Eaux, Gésir, L’homme qui Marche Rend Visible le Caché, Portée), de photographies et autres expérimentations chimiques. Elle crée les visuels pour le projet musical PRAIRIE.
Elle est actuellement en montage de son prochain long métrage documentaire, Tracé, tourné au Nicaragua.


Pour aller plus loin

Retrouvez l'ensemble du sommaire de ce numéro 7 du Magazine des Auteurs et des Autrices, et lire en ligne le magazine "Donner à voir le son".


image : © Joëlle Bacchetta

Parfois il suffirait d'un son, par Khristine Gillard