Skip to main content

Pleins feux sur Sophie Weverbergh, Prix Scam Littérature 2022 pour "Précipitations"

samedi 22 avril 2023

Prix 2022 banners Web

Elle écrit depuis toujours, elle est passée du blog au roman, et dans son premier livre "on retrouve sous une forme longue et haletante sa façon de rendre romanesque le quotidien" : Sophie Weverbergh reçoit le Prix Scam Littérature 2022 pour son très beau Précipitations. Découvrez à cette occasion l'éloge écrit pour elle par Laurence Rosier, et un entretien passionnant avec Aliénor Debrocq.

L'éloge du Comité

Née en 1981, Sophie Weverbergh a étudié la philologie romane à l’ULB. Le début de ses études coïncide avec celui de son entrée dans l’écriture, via la forme émergente du blog. Elle réalisera d’ailleurs un brillant mémoire original sur le sujet. Le blog Muances sera celui qu’elle entretiendra le plus longtemps : « plein d’autres pages sont abandonnées à peine entamées (comme des mues) – Je change de vie, de lieu, de travail, d’amoureux = je change de blog ». Elle s’y essaie aussi à l’autofiction : « ma vie y est remaniée, réinventée, rêvée ».

À partir de 2014 et de la naissance de son premier enfant, elle inaugure des chroniques familiales « extimes » sur Facebook, qui rappellent La Maison de papier de Françoise Mallet Joris, avec un côté plus inquiétant, frôlant le genre fantastique, avec un goût pour les failles, les noirceurs, la folie… Elle augmente ses écrits de photographies à l’atmosphère étrange et envoûtante.

Prix 2022 banners Web2

Son premier roman, Précipitations, a été publié chez Gallimard en 2022 et a vite rencontré un fervent public de lecteurs et de lectrices : on y retrouve sous une forme longue et haletante sa façon de rendre romanesque le quotidien, de la trivialité de l’inlassable vaisselle aux comptines enfantines inexorablement répétées. Petra son héroïne « belle-mère » promène ses envies, ses dépits, son amour et ses désirs avouables (ou non) dans un village du Brabant wallon, entre son évier, le cirque et la rivière.

Elle travaille actuellement à son second roman : « J’avais d’abord imaginé qu’il serait sans enfant ; mais c’est impossible. Je ne peux pas ne pas écrire sur l’enfance ».


Laurence Rosier, membre du Comité belge de la Scam

« Écrire me rassemble complètement »

Née à Bruxelles, Sophie Weverbergh a grandi à Ittre et vit toujours dans le Brabant Wallon, entourée d’enfants. Sa biographie nous apprend qu’elle a endossé de nombreux rôles : tour à tour professeure de français, serveuse, correctrice, pigiste, encodeuse dans une casse de voitures et vendeuse de pierres dans une marbrerie funéraire ! En 2022 est paru son premier roman, Précipitations. Une découverte fabuleuse ! Mais l’écriture fait partie d’elle depuis de très nombreuses années…

Aliénor Debrocq : Pouvez-vous nous parler de ce que représente l’écriture dans votre vie ?

Sophie Weverbergh : L’écriture est une activité qui me rassemble complètement. Il y a d’autres aspects de ma vie qui me nourrissent, mais c’est dans l’écriture que je me retrouve entièrement et que j’arrive à me donner le courage d’être qui je suis, ce qui n’est pas forcément le cas dans les autres contextes. Pendant longtemps, j’ai écrit pour écrire. Je n’étais pas du tout inscrite dans les milieux littéraires. C’est pourtant une pratique qui m’anime depuis l’adolescence : j’ai commencé par des chroniques autofictionnelles que j’ai toujours composées avec sérieux. Quand j’étais étudiante en Langues et Littératures romanes à l’ULB, il y a vingt ans, je tenais un blog et j’ai compris ce que c’était d’avoir des retours de lecteurs. Ensuite les blogs ont disparu et, avec eux, cette dynamique intime que j’aimais. Je continue malgré tout à partager des textes sur Facebook depuis plus de dix ans. J’aime livrer des fragments...

AD : Comment est né votre premier roman ?

SW : Un jour je suis allée au cirque avec mon fils de trois ans, je suis rentrée chez moi avec l’envie d’écrire une nouvelle. C’était un cirque de village et ça m’a plu, d’écrire ce texte d’une dizaine de pages. J’ai d’abord créé le personnage de Betty, puis j’ai tourné autour et j’ai grossi le texte jusqu’à ce qu’il devienne plus imposant. Si j’avais été capable d’en faire une nouvelle, je l’aurais sans doute fait. Mais la nouvelle est un format très exigeant – je ne me sens pas capable d’écrire des nouvelles ou de la poésie pour le moment. Petit à petit, ce récit est devenu un roman dont la matière première était proche de moi.

Je ne voulais pas m’aventurer dans un projet qui nécessite trop de recherches et je connaissais intimement le sujet de la maternité. J’étais mère au foyer, enceinte de mon troisième enfant. J’étais donc moi-même dans la situation de Pétra : mère de deux jeunes enfants et belle-mère de deux autres. Il y a une teneur autobiographique dans ce roman, mais Pétra, ce n’est pas moi. Elle nourrit des pensées et fait des choix qui ne sont pas les miens.

Ce n’était pas une écriture thérapeutique mais, grâce à elle, j’ai exploré des choses qui me faisaient peur. Ça m’a permis de réfléchir. Et puis, le sujet est universel. La scène de la vaisselle a fédéré plein de personnes différentes, par exemple ! C’était une belle surprise !

AD : Comment travaillez-vous cette langue si singulière qui porte le roman ? Les ritournelles ?

SW : Souvent on me demande comment la langue me vient mais je ne peux pas répondre à cette question. Je fonctionne très fort à l’oralité. J’étais entourée de jeunes enfants et j’entendais des chansons à longueur de journée – toutes sortes de comptines. J’ai 41 ans mais je sais que je conserve une part d’enfance, je suis un peu infantile. Ma méthode de travail reste quant à elle banale : j’écris, je recommence, c’est très laborieux, mais quand je relis, ça doit sonner comme je veux. Je n'ai pas de truc ni de rituels. Les comptines sont venues parce que je chante beaucoup. J’ai aussi fait beaucoup de théâtre, de la musique et du solfège : l’oralité fait partie de moi.

Quand j’étais ado, je lisais Duras : chez elle, on sent bien la rythmique de la phrase courte, comment ça se structure. D’autres autrices m’ont touchée par leur rythmique, mais je n’ai jamais vraiment réfléchi ce sujet. Je ne théorise pas l’écriture. Je sais que j’ai besoin d’un fil rouge, d’un motif à travailler pour garder une couleur.

AD : La question de la famille recomposée reste une forme de tabou en littérature ; il y a très peu de livres qui parlent de ça honnêtement...

SW : Oui, à ce titre, le livre constitue une prise de risque. Il assume des propos et des pensées qui sont fragiles : pourquoi c’est plus difficile d’aimer un enfant plutôt qu’un autre, par exemple, comme dans la scène de la chaussure d’Arthur. Quand j’écris, j’essaye d’être courageuse et d’aller jusqu’au bout de ce que je pense. J’ai fait en sorte que Pétra aussi soit courageuse... Elle se sent mal de ressembler aux marâtres des contes pour enfants. Il y a du vrai dans ces personnages de femmes qui doivent s’occuper de leurs beaux-enfants.

Quand j’écris, je n’ai pas peur. La peur vient après. Ce qui est merveilleux, c’est que la maman de mes beaux-enfants a lu et aimé le bouquin. Je me suis sentie reconnue comme autrice et comme belle-mère (c’est plus important !). Pas mal de lectrices (mères, belles-mères) sont venues vers moi pour me dire à quel point le livre leur avait fait du bien ou leur avait parlé. J’ai eu beaucoup de retours très positifs, y compris de la part de lectrices moins confirmées – comme lors d’une rencontre avec un groupe de femmes émanant d’un CPAS. C’est une belle gratification, qui fait partie des plus beaux aspects de l’expérience. C’est déjà ce que j’aimais dans les blogs : la possibilité d’échanger avec les gens. Le livre vit de ces rencontres.

AD : Qu’est-ce qui participe chez vous du mouvement d’écrire ?

SW : L’écriture ne me quitte jamais, quelle que soit sa forme. Je fais des plans immenses que je ne suis pas et je n’écris pas du tout ce que j’avais prévu ! J’écris plein de choses différentes. Le roman est peut-être la forme à laquelle je consacre le moins de temps parce que je n’arrive pas à dégager les moments nécessaires. Le temps long de la publication me donne parfois du fil à retordre. Il y a souvent chez moi une urgence dans le fait d’écrire et d’être dans le contact rapproché avec mon lectorat.

J’ai beaucoup d’échanges sur Facebook quand je publie mes chroniques. J’y mets autant de soin que dans mes autres textes. Je prends ça très au sérieux. C’est comme un énième blog. Je suis aussi passionnée de photographie et Facebook me permet de lier les deux pratiques. J’aime faire dialoguer les images avec le texte, trouver des formes hybrides. C’est de l’autofiction : je flirte avec les limites de ma vie privée. Même si ce sont toujours des histoires inventées, elles portent une trace de ce que je vis.

AD : Parler de la féminité, de la maternité, est-ce un engagement conscient de votre part ?

SW : C’est davantage philosophique que politique. Écrire est déjà si compliqué que je n’ai pas envie de perdre ma vie à écrire des choses qui me paraîtraient dénuées de sens ou d’intérêt, y compris pour la vie des autres. La maternité me concerne en tant que mère et belle-mère, mais aussi parce que je suis une enfant adoptée (et chanceuse de l’avoir été). D’une façon ou d’une autre, la question de la filiation s’est toujours posée chez moi. Je crois que je n’aurai jamais épuisé ce thème. Je pourrais y passer une vie entière.

J’ai rencontré beaucoup de femmes qui n’ont pas la possibilité de prendre la parole pour dire ce qu’elles vivent. Le faire est important pour moi, ce serait ma façon à moi – timide et intime – de militer, de m’engager pour un vivre-ensemble. Je ne suis pas une femme de terrain, contrairement à Irène Kaufer par exemple, qui arrivait à être à la fois écrivaine, théoricienne et militante.

AD : Qu’est-ce que ce prix signifie à vos yeux ?

SW : Ce prix m’a fait beaucoup de bien ! Il arrive tardivement, un an après la parution du livre. C’est une reconnaissance inespérée, d’autant plus importante que c’est un prix belge alors que j’ai été éditée en France. C’est un rebond qui offre d’autres rencontres et d’autres perspectives.

AD : Un rêve pour l’avenir ?

SW : Je reste très prudente et modeste. Je ne me dis pas que je suis devenue autrice ! Avoir un livre publié, c’est déjà merveilleux. Aujourd’hui je veux juste me dire que c’est possible, qu’il y aura un autre roman après celui-ci. Je voudrais qu’il soit meilleur, encore plus abouti, mais si j’avais la certitude d’écrire le roman parfait, je ne le ferais pas ! (Rires) J’ai aussi la grande chance d’être dans une petite structure (chez Verticales) et de me sentir entourée par mes éditeurs.

Propos recueillis par Aliénor Debrocq


Pour aller plus loin

 

Pleins feux sur Sophie Weverbergh, Prix Scam Littérature 2022 pour "Précipitations"