Une belle hirondelle budgétaire fera-t-elle le printemps d’une nouvelle politique des Écritures et du livre ?
C’est une nouvelle dont il faut se réjouir : suite aux actions entreprises par les membres de la Scam, par la CCEL (ABDIL, SLFB, ADEB...) et grâce au soutien du Conseil Supérieur de la Culture et de l’appui de plusieurs parlementaires, dont le Président actuel du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, M. Benoît Dispa, le budget des aides ponctuelles dans le secteur « langues, lettres et livre » (DO20 62 33.02) [1] a pour la première fois depuis des décennies été mis à niveau de l’inflation et des besoins les plus urgents des professionnel·les du terrain : auteurs, autrices, éditeurs et libraires.
Une enveloppe de 2,8 millions d’euros a été prévue pour 2025 par la nouvelle ministre de la Culture, Mme Élisabeth Degryse, contre 1,4 millions d’euros au dernier budget 2024 de Mme Bénédicte Linard. Ces ressources vont être distribuées en application du nouveau décret [2] du 4 avril 2024 relatif au subventionnement des secteurs professionnels des langues, des lettres et du livre, et de l’arrêté qui sera pris par le Gouvernement pour l’exécuter entièrement et de façon enfin satisfaisante pour les professionnel·les.
Le point majeur est que les bourses aux auteurs et autrices pourront être revalorisées selon les demandes de la CCEL alors qu’elles ont perdu 50 % de leur valeur monétaire depuis 20 ans, faute d’indexation.
La travail entamé dans le domaine des Lettres et du Livre par la Ministre Degryse, et son équipe issue du secteur, est donc un vaste chantier qui ne fait que commencer :
le décret adopté dans la hâte de la fin de la législature précédente, comporte encore de nombreuses imperfections, voire des freins à un usage efficace et réellement utile des budgets prévus, mais aussi des outils promotionnels mis en place en interne par la FWB (revue, sites, prix, lieux…).
Des corrections immédiates s’imposent tant pour le décret que pour son projet d'arrêté qui en découlera.
Sa première version, imparfaite elle aussi, est en effet restée en attente dans les tiroirs ministériels en raison des élections. Le PILEn s’attache déjà à préparer ses propositions.
Le monde de la création et de l’exploitation de livres enchaine les crises et les chocs technologiques, le dernier étant apparu en 2023 avec l’irruption en masse des outils dits « d’IA générative », dont les premiers produits synthétiques accentuent les phénomènes de la numérisation (Google, etc.) et de la plateformisation (Amazon, etc.).
Notre secteur s’inscrit désormais dans un nouveau régime social et fiscal (Working In The Arts - WITA) et dans un contexte francophone dominé par 3 grands groupes d’édition-distribution en France.
Voilà un vrai oligopole à frange [3] qui, à travers le contrôle des accès aux marchés et celui du prix unique moyen du livre, décide des marges économiques et donc de la vie ou de la mort des autres professionnel·les !
Les professionnel·les ne doivent pas s’éloigner des bibliothèques publiques, et revenir avec leurs projets et leurs œuvres dans les missions de démocratisation culturelle des centres culturels, avec des résidences, des accueils, des soirées de présentation bien systématiques et créatives…
Ils devront aussi obtenir le respect de la conception humaniste des droits des auteurs et des autrices dans ce contexte, la juste rémunération de leur travail comme de l’exploitation de leurs œuvres, sans quoi les « tuyaux de distribution », papiers ou numériques, se rempliront des choses les plus banales, des produits industriels synthétisés sans âme, ce qui entrainera la dégradation de tout l’écosystème et un usage décroissant du livre par les publics.
Faisons lire nos enfants, c’est essentiel, mais avec quelles créations authentiques ?
Fort heureusement, un grand esprit de solidarité existe entre les fédérations professionnelles, réunies au sein du PILEn [4], ainsi qu’avec l’administration de la Culture de la FWB, dont la directrice générale AI et directrice de l’Audiovisuel et des médias, Jeanne Brunfaut a démontré sa capacité à soutenir un secteur internationalisé et complexe. Son expérience sera nécessaire à la Ministre pour préciser sa nouvelle politique pour ce média spécifique qu’est le livre : soutenir les innovations professionnelles, améliorer la situation des artistes/auteurs/autrices, nouer des collaborations fructueuses avec les régions et le fédéral, transversaliser les bonnes pratiques administratives, élargir les lien de collaboration à l’international, générer/solliciter d’autres ressources européennes par exemple comme nous y travaillons à la MEDAA [5].
Sans préjudice d'amélioratons législatives, l’établissement d’une charte éthique sectorielle pour réguler l'usage des outils et des services d'IA est prioritaire à l’évidence.
Un test essentiel sera dans l’usage d’une partie des ressources nouvelles pour répondre aux projets innovants et aux besoins de formation continue des créateurs et créatrices, qui sinon seront remplacés par des machines à produire des synthèses issues des milliards de créations moissonnées sans autorisation par les majors de la technologie. Un saut politique et administratif doit accompagner le saut technologique, tenant compte aussi des exigences climatiques.
L’élaboration et la mise en œuvre d’une politique nouvelle, incluant un plan culturel numérique couvrant notamment le secteur des Lettres et du livre, prévu courageusement par la DPC et déjà nommé prospectivement par La Ministre de la Culture, Mme Milquet en 2015 ne peuvent plus être différées.
Innover dans les objectifs comme dans les méthodes pour sauvegarder et développer notre création littéraire au sens large, cœur battant de notre écosystème, est non seulement indispensable mais désormais possible grâce à des ressources nouvelles en Belgique francophone !
Rendez-vous dans quelques semaines au Printemps !
[1] DO20 62 33.02
[2] https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/52573_000.pdf
[3] Terme économique qui désigne les secteurs d’activités où quelques acteurs contrôlent les marchés, leurs amonts et leurs avals.
[4] SCAM/SACD, ADEB, Editeurs singuliers, SLFB, associations de bibliothécaires
[5] Voyez les initiatives proposées par