Coup de projecteur sur Laurence Rassel et l'erg, Prix Âme Sœur de la Scam 2024
« Rassembler et découvrir l’inattendu, dans des endroits aventureux de récupérations collectives et des points de contact des diverses disciplines. » : quelques mots pour décrire le formidable travail de Laurence Rassel et l'équipe pédagogique de l'erg, Âmes sœurs de la Scam 2024. Découvrez à cette occasion l'éloge écrit en leur honneur par le Comité ainsi qu'un entretien passionnant avec les deux directrices.
En leur décernant les mentions honorifiques d’« Âmes sœurs de la Scam », le Comité belge salue des personnalités du paysage culturel belge qui aident à faire naître et rendre visibles les oeuvres des auteurs et autrices, et qui les soutiennent avec passion et bienveillance.
L'éloge du Comité
L’erg - école de recherche graphique, c’est un mouvement infini. Où quelque chose peut toujours surgir en liberté, hybride. Sa directrice actuelle Laurence Rassel, est une faiseuse de chemins multispécifiques qui fait advenir ce que l’on aurait à peine rêvé, entre production collective et invention personnelle : des labos et des formes qui émergent et nous tiennent en éveil. Une sorte de Calamity Jane, entre les nouveaux médias, le cyberféminisme et l’école d’art, qui aurait pu croiser l’actrice Delphine Seyrig dans un film de Babette Mangolte. Ou dans un travelling de Chantal Akerman. En hackant le système institutionnel, elle a été aussi responsable de l’organisation Constant et directrice de la Fondation Antoni Tàpies à Barcelone, connectant la pensée théorique, l’usage critique des nouvelles technologies et les comportements artistiques.
En définitive, L’erg, c’est quoi ? Disons : une recherche, de celles qui font advenir des nouveaux processus de transmission et d’appropriation des savoirs pour favoriser la déconstruction et l’émergence. Perdre du temps à chercher ne fait pas peur au Conseil de gestion pédagogique auquel Laurence Rassel appartient. Parce que quelque chose manque. On comprend que cela fait partie du jeu pour rassembler et découvrir l’inattendu, dans des endroits aventureux de récupérations collectives et des points de contact des diverses disciplines. Il faudrait que nous réfléchissions davantage avec elles et eux. Dès lors, on ne s’étonnera pas que les professionnel.les s’intéressent autant à l’erg, terreau propice à l’émergence d’écritures et formes nouvelles, partagées !
Sylvia Botella & Nina Toussaint, membre du Comité belge de la Scam
L’erg, force intranquille
Atypique, l’Ecole de recherche graphique basée à Ixelles met le mouvement permanent au cœur de sa philosophie et de ses pratiques. Loin du mythe de l’anarchie, les étudiantes et les étudiants sont accompagné·es, responsabilisé·es et encapacité·es par une pédagogie qui ouvre à la porosité des espaces.
Contrairement à la plupart des écoles d’art qui sont organisées par domaines spécifiques (peinture, sculpture, etc.), la structure pédagogique de l’erg s’ancre sur des ateliers pluridisciplinaires, ADN et héritage de l’histoire de cette école née en 1972, et qui atteignent aujourd’hui la transdisciplinarité. L’école ne s’arrête pas à cet entremêlement des arts, mais applique cette philosophie du dialogue, du questionnement et de la recherche à tous ses espaces : depuis les méthodes pédagogiques en passant par le système financier, informatique, architectural ou encore le cadre législatif. Et comme ces champs de référence sont eux-mêmes toujours en mouvement, l’école est donc elle aussi en mouvement permanent.
De la pédagogie en tout
C’est l’une de ses autres spécificités, être dans le mouvement constant de la théorie expérimentée dans la pratique. Mouvement qui n’est possible que si toutes les personnes qui la composent se mettent elles aussi en mouvement. « La pluridisciplinarité et la transdisciplinarité ne sont pas juste des labels, souligne Laurence Rassel, directrice de l’erg depuis 2016. On les éprouve, on les teste au quotidien. Et elles se basent sur la compréhension de ce qu’est une école d’art en Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est-à-dire comprendre comment cela fonctionne et le faire comprendre à d’autres. Ainsi, il y a un haut coefficient pédagogique à chaque geste qu’on pose. Que ce soit un geste administratif, une réflexion financière, comprendre comment fonctionne le décret paysage, comment fonctionne le cadre d’engagement de nouveaux membres du personnel, le système informatique, etc. Pouvoir comprendre et partager collectivement le fonctionnement de l’institution afin qu’ensuite les personnes gagnent en agentivité [capacité à agir de manière volontaire sur son environnement, ndlr]. » Ainsi, par exemple, à la mi-mars, les heures de cours se sont-elles transformées en une semaine de travail collectif pédagogique et institutionnel. Ou encore, chaque année, Flavio Feirrera Orzari, chargé de l’aide à la réussite, propose un moment avec chaque équipe pédagogique pour éprouver si ce qui a été mis en place pendant l’année convient pour la suivante.
Tout est recherche
Les étudiants et étudiantes sont, si ils et elles le souhaitent, partie prenante de ces réflexions et de ces expérimentations collectives. « Ce que disaient les étudiants et étudiantes lors d’une émission de radio qu’on a faite il y a peu de temps, c’est qu’à l’erg, tout est recherche. Nous sommes en travail tout le temps, sur tous les pans de l’école. En essayant que le cadre soit compris par tous et toutes, comme un code source en informatique. Car cette connaissance du cadre, c’est l’encapacitement », indique Wendy Toussaint Liebermann, directrice adjointe. « On fait tout ce qu’on peut pour que les étudiants et les étudiantes aient les outils pour comprendre le monde dans lequel ils et elles sont », ajoute Laurence Rassel.
Un va-et-vient avec l’extérieur
La porosité entre théorie et pratique, entre les différents espaces de l’école, entre disciplines, etc., ne s’arrête pas aux portes de l’école. L’erg est aussi un lieu d’échanges avec le monde extérieur. A l’opposé du mythe de l’artiste qui fait tout tout seul, c’est l’interdépendance qui est à la base du travail artistique. « On travaille beaucoup sur la question du collectif et comment on peut créer des espaces interstitiels et, au travers d’ateliers, on déplace le champ de la pratique artistique en dehors du champ de l’art en travaillant avec des hôpitaux et diverses associations », explique Wendy Toussaint Liebermann. « Dans l’école même, il y a différentes pratiques qui renforcent cet aspect. Un fois par mois à lieu le Breakfast Club. Sur un temps de midi, on replie les gradins de l’auditoire, on fait le noir, il y a des DJs aux platines et on danse avec les personnes de L’Autre "lieu" – R.A.P.A. (Recherche-Action sur la Psychiatrie et les Alternatives). Il y a aussi un cours qui se fait en cuisinant “erg à table”, une radio, une recyclothèque », liste Laurence Rassel.
Expérimenter plutôt que se spécialiser
« Il y a donc des endroits où la pluridisciplinarité et les liens avec le monde extérieur s’opérationnalisent. Quels types de pratiques artistiques naissent de tout cela ? Notre objectif est surtout d’aiguiser la capacité de choix des étudiant·es. Comment faire leur projet ? Le visibiliser ou pas ? Avec quel allié ou avec quelle dépendance, dans quelles conditions ? En fait, ici, au lieu d’aller vers une spécialisation dans un domaine, ils vont vers une ouverture. On met à l’épreuve certaines pratiques, certains comportements. Notre rôle est à la fois un rôle de protection mais aussi d’exposition. Donc il y a ce va-et-vient entre la bulle et l’extérieur, tout en pouvant tester, même si ce n’est pas toujours facile », poursuit-elle.
Les deux directrices ont été très surprises de ce prix Âme Sœur de la Scam qui vient appuyer le travail pédagogique collectif de l’erg pour aider à la naissance et à la visibilisation d’artistes. « Peut-être que ce moment de visibilité et d’énonciation de ce qu’on fait dans un autre espace va créer d’autres liens dans d’autres espaces », espère Wendy Toussaint Liebermann.
Propos recueillis par Cécile Berthaud
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