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Coup de projecteur sur Sarah Pialeprat, Prix Âme Sœur de la Scam 2024

Lundi 26 Mai 2025

« Sarah Pialeprat est une découvreuse, une partageuse de films sur l’art belge avec vue sur l’international. L’effort ne lui fait pas peur.  Son élan est têtu, lumineux et amical. » : quelques mots pour décrire le formidable travail de Sarah Pialeprat, Âme sœur de la Scam 2024. Découvrez à cette occasion l'éloge écrit en son honneur par le Comité ainsi qu'un entretien passionnant avec elle.

En leur décernant les mentions honorifiques d’« Âmes soeurs de la Scam », le Comité belge salue des personnalités du paysage culturel belge qui aident à faire naître et rendre visibles les oeuvres des auteurs et autrices, et qui les soutiennent avec passion et bienveillance.

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L'éloge du Comité

On insiste avec raison sur sa radicalité douce, sa curiosité. Et son sourire qui fend son visage lorsqu’elle rappelle qu’en Belgique, il existe une vraie culture du cinéma documentaire que le reste du monde nous envie - oui ! Sarah Pialeprat est une découvreuse, une partageuse de films sur l’art belge avec vue sur l’international. L’effort ne lui fait pas peur. Son élan est têtu, lumineux et amical.

On le voit bien au Brussels Art Film Festival qu’elle dirige, le plus beau est une effervescence de gestes de documentaristes, de mouvements de caméra, de (dé)cadrages, de matières et pratiques artistiques. C’est l’esprit BAFF. L’inextricabilité « mixée » se situe toujours quelque part. Elle peut être désir. Elle peut être liberté. Elle peut être sororité. Elle peut être amour. Elle peut être dignité. Notre regard est sans cesse requis, happé par la création qui vibre quotidiennement et nous fait du bien. A chaque édition, il y a une re-création. Ça, c’est la qualité de Sarah Pialeprat ! Quelque chose de nouveau est devant nous. Et devant elle, au Centre du film sur l’art qu’elle dirige également depuis de nombreuses années – entre recherche, acquisition et diffusion - comme sur sa table de travail où elle écrit la pièce de théâtre Romeo vs Juliette. Voilà, la part inattendue !? Mais c’est oublié trop vite que c’est le théâtre, par grandes embardées et heureuses bifurcations, qui l’a menée vers le cinéma. Vous l’avez compris. Sarah Pialeprat ne s’arrête jamais. Son cœur, non plus. Elle aime.

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Sylvia Botella, membre du Comité belge de la Scam


Le carrefour des arts 

Créer du lien tout en collant des baffes, on y croit ? Sarah Pialeprat, oui ! Depuis plus de dix ans, la directrice du Brussels Art Film Festival (BAFF) assume pleinement le jeu de mots logé dans l’acronyme de son événement, un rendez-vous annuel dédié aux documentaires sur la création artistique. 

Le genre du film sur l'art est très spécifique. Comment le définissez-vous ?

Sarah Pialeprat : C'est difficile de s'arrêter sur une définition claire parce que ces films peuvent revêtir plusieurs formes. Disons qu'il s'agit toujours du point de vue d'un ou d'une artiste, sur un ou une autre artiste. Une sorte de fusion de création dans un objet filmique, qui ne se contente pas de faire de la pédagogie ou de documenter. Je ne veux pas être snob en disant ça parce que, moi-même, j'ai beaucoup de plaisir à regarder des reportages d’ARTE sur des artistes, peu importe leur discipline. Mais le genre dont on parle concerne des films qui n'ont pas la chance de passer à la télé, qui posent un regard artistique sur un œuvre, et qui proposent une forme en adéquation avec leur sujet. Un cinéma d'auteur et documentaire. C'est un peu la niche dans la niche du cinéma. 

Une niche pas si petite que ça vu le succès public du festival...

C’est vrai. Chaque année, je reçois cent à cent dix films en lien avec la Belgique. Ça fait du monde quand même, toutes ces équipes de cinéma cherchant à se réunir devant un public annuel de trois mille personnes. Nos salles ne sont pas bien grandes mais elles sont pleines, avec un public qui augmente chaque année. Et qui rajeunit en plus ! C'est merveilleux car c'est un véritable challenge d'attirer les jeunes dans les salles de cinéma ces temps-ci. On observe ce rajeunissement depuis deux ans sans trop l'expliquer, même si je pense que la carte Cinéville a beaucoup servi.

Quelle est la place de la Belgique dans le réseau international des films sur l'art ?

Je le dis modestement mais la Belgique a beau être un tout petit pays, c'est le plus grand producteur de films sur l'art au monde. Comment l'expliquer ? Il y a déjà une forte tradition du documentaire en Belgique. Si on remonte à Henri Storck, il filmait ses copains artistes dès ses débuts. Je pense que notre esprit de production explique aussi cette richesse. On a de très bonnes maisons de production, mais aussi beaucoup de liberté dans un modèle de bricolage. Ici, l’informalité fait partie de la culture et on ne s’arrête pas avant d’avoir essayé. En France par contre, on ne bricole pas. Soit on fait un film pensé de façon professionnelle, soit on ne le fait pas. Il y a enfin le système belge des ateliers de production, qui offre un modèle de fabrication bien particulier. Le BAFF se positionne comme un carrefour dans ce microcosme spécifique pour découvrir les talents émergents.

Un festival n'est jamais simple à financer. Ça vous prend beaucoup de temps de sceller des partenariats ?

Oui ! Il y a deux types de partenaires. D'abord il y a les salles, qui sont au nombre de sept et se trouvent à Bruxelles, Gand, Anvers et Mons. Sur ce terrain-là, ça roule. Elles sont complètement en confiance et nous laissent programmer ce qu'on veut. Après, il y a les partenaires financiers. C'est pas la partie la plus marrante parce que là aussi on a sept partenaires, ce qui implique sept dossiers de renouvellement à constituer chaque année. Cela dit, ils sont aussi fidèles et de plus en plus nombreux. On a même le soutien du VAF (Vlaams Audiovisueel Fonds), ce qui est assez rare pour un petit festival.

Un festival qui se déploie dans les trois régions du pays, c'est presque inédit !

Et je suis française d'origine, rendez-vous compte (rires) ! Je suis là depuis plus de vingt ans et l'importance de travailler ensemble est évidente à mes yeux. 

Comment faites-vous pour tenir dans la durée ?

Pour un festival comme pour tout, ça tient au désir. Juste avant une édition, ça m'arrive d'en avoir marre et de penser que ce sera la dernière parce que les moyens manquent et que c'est stressant. Et puis je vois le bonheur des gens dans la salle, ou bien je découvre un film que j'ai envie de partager. Professionnellement, ma seule raison d'être est de faire en sorte que le plus de gens possible voient des films. Parfois je suis juste remplie d'émotion pendant les projections. Comme quand on a passé Orlando, ma biographie politique de Paul B. Preciado à Bozar. À Bruxelles, je ne vois jamais un public qui ressemble à celui qu'on a réuni ce soir-là. Il y avait des vieux, des jeunes, des queers du genre 'plus-queer-tu-meurs', des gens de toutes les couleurs, de toutes les cultures. C'était bouleversant de voir rassemblées toutes ces personnes qui ne se parlent habituellement pas ! Quand je vois ça, mon travail devient évident. 

Le public scolaire est-il facile à toucher ?

C'est un public qu'on entretient toute l'année via le CFA (Centre du Film sur l’Art), que je dirige aussi. Il faut bien les accompagner car on leur montre parfois des films très durs. Et ce n’est pas garanti qu'ils plaisent à la classe entière, loin de là. Mais l'impact est énorme ! Il y a quelques jours, on a montré à quarante gamins un film sur un artiste congolais, Serge Kakudji, qui a découvert sa passion pour l'opéra à sept ans devant un poste de télévision (Rêve Kakudji d'Ibbe Daniël et Koen Vidal). Non seulement, on ne montre pas souvent de personnes noires à l'opéra, mais ce gars est contre-ténor en plus de ça, c'est-à-dire que sa voix s'approche des voix de femmes. Autant dire que les représentations de ces quarante ados, qui n'écoutent jamais de musique baroque, ont bien été secouées devant le film. Un film qu'ils n'auraient jamais découvert si le CFA et leur prof ne s'étaient pas organisés. 

Considérez-vous votre travail comme politique ?

Ah oui ! Je ne fais pas ça pour le marché de l'art et vendre des artistes. L'art est politique et je vois bien depuis tout ce temps que le film sur l'art a un impact ultra-puissant sur les gens. On croit souvent que la dimension politique du documentaire vient uniquement de son pouvoir d'alerte et de constat. Il y a une façade parfois déprimante dans le docu alors qu'avec un film sur l'art, on verse obligatoirement dans le positif. L'art, ça fait du bien, ça donne envie de faire des choses, ça offre de la beauté et de la révolte. Ça rappelle que les êtres humains ne font pas que détruire, ils sont aussi capables de faire. 

En parlant de politique, comment réagissez-vous à la remise en question actuelle du financement public de la culture ?

Je ne pense pas que le BAFF ou le CFA soient la priorité du nouveau gouvernement. Ce qui est vraiment très con de leur part si c'est le cas. L'archive vivante donne accès une vérité historique. Or de la vérité, on va en avoir vraiment besoin. On sait par exemple qu'en Russie, ils sont en train d'effacer des archives pour écrire une autre histoire de la révolution de 1917. Il va falloir prendre soin des gardiens d'archives. Et quand le porte-parole du MR à Bruxelles explique que les artistes n'ont pas besoin d'argent public parce que leur talent devrait suffire pour vivre de leur art, il y a un gros problème. Moi, sans argent public, je ne peux pas faire vivre un fonds d'archives documentaires, ni organiser un festival. Heureusement, je suis bien soutenue par mon organe d'administration et nous avons un très bon comité stratégique.

Le nom du festival a évolué avec le temps. Pourquoi ?

Au départ il n'avait carrément pas de nom. C'est ensuite devenu le 'Festival du film sur l'art', que je trouvais trop descriptif. Pour finir avec le 'Brussels Art Film Festival'. Je voulais un nom en anglais parce que le festival offre un panorama international. J'aime bien l'acronyme BAFF en plus car le festival peut faire l'effet d'une claque. Nos films sont parfois très doux mais, en général, ils secouent. 

Propos recueillis par Stanislas Ide

Pour aller plus loin

. Découvrir l'ensemble du Palmarès 2024

. En savoir plus sur le BAFF

. En savoir plus sur le Centre du film sur l'Art

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