Coup de projecteur sur Victoire de Changy, Prix 2024 de l'œuvre littéraire pour Immensità
« Victoire de Changy voit la veine du minéral précieux là où l'on pourrait ne voir que le rocher » : quelques mots pour se plonger dans l'univers de Victoire de Changy, qui reçoit le Prix Scam 2024 de l'œuvre littéraire pour Immensità. Découvrez à cette occasion l'éloge écrit en son honneur par le Comité ainsi qu'un entretien passionnant avec elle.
L'éloge du Comité
Après avoir offert aux enfants des petits bijoux de textes, extraits d'essences de rêves, après avoir ciselé un recueil de poésie consacré au miracle que constitue un nourrisson (le sien), après avoir logé dans un ouvrage collectif une réflexion très remarquée sur la maternité, Victoire de Changy est revenue au roman adulte, avec un texte d'une grâce aussi pure que grave : Immensità. Une histoire où elle abreuve lae lecteurice d'émotions liées à la beauté.
Victoire de Changy est une orpailleuse, qui dans son quotidien (régulièrement documenté sur les réseaux sociaux, auxquels elle parvient à conférer une certaine élégance) comme dans ses textes plus directement destinés au papier, cherche et passe aux autres les pépites qui se nichent là où les autres, justement, ne les trouvent pas. C'est un morceau d'enfance indélogeable, fiché derrière les yeux, qui lui sert de boussole. Victoire de Changy voit la veine du minéral précieux là où l'on pourrait ne voir que le rocher.
De ce talent si particulier pour l'émerveillement est né Immensità, où l'apocalypse accouche d'un espoir, où l'effondrement mène à une re-construction. Interrogeant la notion-même de société, proposant des modèles d'existence stimulants, la destinée de son personnage, Mauve, 17 ans, est un baume pour celles et ceux qui la lisent. Car si elle existe, si elle s'en sort, si elle triomphe de l'adversité, c'est donc que c'est possible. En ces temps de nuages bas, la littérature de Victoire de Changy offre de vraies perspectives.
Myriam Leroy, membre du Comité belge de la Scam
Victoire de Changy : « La fiction crée de la magie et on en a besoin »
Depuis son premier roman paru en 2017, Victoire de Changy s’est forgé une place bien à elle dans le paysage littéraire : Immensità, son dernier livre pour adultes, confirme son talent de conteuse et de poétesse…
AD : Victoire de Changy, votre roman est sélectionné pour le Prix des Lycéens 2025 (PECA) et vient de recevoir un prix de la Scam, qu’est-ce que ça vous fait ?
VDC : Ce qui est merveilleux dans le retentissement de ce livre, c’est que je n’avais aucune attente. Cela m’honore et me fait dire qu’en huit années de publications, je ne me trompe pas complètement, si des gens sont là pour trouver que ça vaille la peine de mettre mon travail en avant. Cela étant, de nombreux livres méritent d’être primés, alors je relativise, mais ça veut dire que je ne suis pas tout à fait confidentielle dans ce que je fais. La sélection du PECA m’a permis de rencontrer de nombreux jeunes entre 16 et 18 ans et je suis épatée par leur engagement et les questions qu’ils posent !
AD : Vous avez dit de ce roman que c’était votre dernière fiction pour adultes avant longtemps ?
VDC : Oui, c’était à un moment où j’avais remis en cause mon désir d’écrire de la fiction. J’avais un doute sur ma capacité à en fabriquer et sur l’impact que ça peut avoir. C’est un questionnement partagé, on le voit bien en librairie, les gens ont besoin de lire autre chose, de faire avancer leurs réflexions. J’ai écrit Subvenir aux miracles, une sorte d’essai où j’ai eu l’impression de faire quelque chose d’important, de plus juste, et je n’ai jamais pris autant de plaisir qu’avec ce livre-là. Ce n’est pas un récit mais le cheminement d’une pensée, une déambulation, une réflexion. Le retentissement d’Immensità m’a cependant rappelé que la fiction peut faire bouger les choses de manière très puissante : elle crée à partir de rien, c’est de la magie et on en a besoin. Voir des jeunes gens qui s’identifient aux personnages, à un monde sorti de nulle part, m’a rappelé la valeur de l’imagination.
AD : Vous dites avoir puisé votre inspiration dans les écrits du jardinier-paysagiste Gilles Clément, ainsi que dans un voyage au Japon. Comment fabriquez-vous vos livres ?
VDC : Je n’ai jamais de plan prédéfini, seulement la scène de départ. Je découvre l’histoire au moment où elle me sort des mains. J’apprends ce qui arrive aux personnages en même temps qu’eux, c’est très immersif, mais inventer une histoire m’est moins naturel qu’écrire mes réflexions ou poser un regard sur le réel. Ce que je préfère, c’est construire des phrases, pas seulement pour l’esthétique, mais pour composer des « phrases-monde » qui feront surgir quelque chose de fort chez la personne qui les lit. Je ne suis pas une scénariste, une créatrice de rebondissements : c’est la poésie qui résume tout ce que je fais, de nouveau pas seulement au sens esthétique du terme mais pour parvenir à dire des choses qui ne sont pas dicibles. C’est un peu divinatoire comme procédé !
AD : Ce roman est présenté comme une utopie, est-ce que vous l’aviez prévu ?
VDC : Pas du tout, puisqu’en commençant à écrire je n’avais que la scène montrant Mauve sous les gravats et l’idée d’un jardin qui prendrait toute la place. Que le récit devienne celui d’une utopie qui se transforme en dystopie m’est advenu sans que je ne le prévoie ni que ça m’obsède. Quand j’écris, je me nourris surtout de mes thèmes, je ne vais pas me documenter car je veux éviter de lire des choses que je pourrais copier malgré moi ou qui finiraient par me restreindre. Cette fois, j’ai quand même un peu paniqué : quand on invente un monde imaginaire, il faut penser à tout, c’est sans fin, mais je me suis autorisée à faire ce que je voulais. On me demande souvent ce qui se passera après la fin du livre. Je n’en sais rien et ça me plait. À chacun d’inventer la suite !
AD : Vous écrivez aussi pour la jeunesse, est-ce que ça donne une autre liberté ?
VDC : Oui, je me sens plus libre en jeunesse. Avec l’enfance, on peut tout se permettre, tandis que la fiction pour adultes doit rester vraisemblable. La littérature de jeunesse est un monde qui n’a rien à voir, ce n’est pas la même ambiance du tout. Les médias y prêtent hélas peu d’attention, mais on sent quand même que c’est de plus en plus professionnel, qu’on fait quelque chose d’important. Je sais que je ne m’adresse pas aux mêmes personnes en écrivant pour la jeunesse, mais c’est la seule chose qui change. C’est l’enfance au sens large : j’écris pour que ça parle aussi aux adultes. L’image est centrale dans tout ce que j’entreprends : quand j’écris, je fabrique de l’image, j’ai une écriture très visuelle. En ce moment je prépare un livre jeunesse accompagné de photos : ça se faisait beaucoup dans les années 50-60, alors j’ai eu envie d’en proposer un plus contemporain, en noir et blanc. J’aimerais aussi écrire un roman graphique, j’y avais pensé pour Immensità.
AD : Vous êtes aussi libraire et maman, quand trouvez-vous le temps d’écrire ?
VDC : Je fais avec les contraintes qui sont les miennes. Les moments où j’arrive à écrire sont rarissimes, mais heureusement je suis rapide et mes courts moments sont vraiment productifs. Mes livres sont courts et je suis très limitée dans mes ambitions. Le secret, ce sont les résidences où s’offrir une coupure totale avec le quotidien et installer des rituels. Parfois, ça me frustre d’écrire en courant. Je n’ai plus le temps de noter toutes mes pensées dans des carnets comme autrefois, c’est une vraie discipline qui demande du temps et de l’énergie, une vigueur quotidienne. Je suis aussi une enfant des blogs et d’internet, j’écris et je partage, j’ai besoin d’avoir un regard immédiat sur ce que je fais. C’est un exercice presque quotidien qui façonne ma pensée.
Propos recueillis par Aliénor Debrocq
Pour aller plus loin
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